Six journalistes placés sur écoutes téléphoniques

Reporters sans frontières s'alarme de la multiplication du nombre de décisions de l'autorité judiciaire défavorables au libre droit d'informer. RSF dénonce une dérive préoccupante.

Après que le journal Le Monde a révélé, le 30 janvier 2002, le placement sur écoutes téléphoniques de six journalistes, en 2000 et 2001, dans le cadre d'une enquête de la Division nationale anti-terroriste (DNAT) sur les affaires corses, Reporters sans frontières dénonce la multiplication, ces derniers mois, de décisions et de pratiques de l'autorité judiciaire particulièrement défavorables au libre droit d'informer. Reporters sans frontières s'inquiète du nombre de mises en cause de la liberté de l'information par des décisions de justice en 2001. La liste des placements en garde à vue, des mises en examen et des condamnations de journalistes (une quinzaine) prononcées ou confirmées en 2001 met en évidence le recours fréquent de l'autorité judiciaire à des mesures visant, d'une part, à contraindre le journaliste à révéler en priorité ses informations à la justice, et d'autre part, à sanctionner toute diffusion par la presse d'informations protégées par le "secret", dans les affaires les plus sensibles, notamment les affaires politico-financières et les affaires corses. Le placement sur écoutes téléphoniques dont auraient été l'objet Jean-Pierre Rey, journaliste de l'agence Gamma, Michèle Fines, rédactrice en chef à France 2, Delphine Byrka, journaliste à Paris-Match, Roger Auque, journaliste indépendant au Figaro magazine et à TF1, Jean-Michel Verne, journaliste à France-Soir et au Figaro, et Guy Benhamou, journaliste indépendant, est une nouvelle violation du principe de la protection des sources journalistiques. Jean-Pierre Rey avait également fait l'objet d'une mesure de placement en garde à vue pendant près de quatre jours par la Division nationale antiterroriste (DNAT) en septembre 2001. Alors qu'en vertu de la loi du 15 juin 2000, une personne ne peut être placée en garde à vue que s'il existe à son encontre "des indices faisant présumer qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction", les journalistes placés en garde à vue - cinq depuis le 1er janvier 2000 - dénoncent une forme de pression visant, en réalité, à les contraindre à livrer des informations qui devraient être couvertes par le secret des sources. Reporters sans frontières a demandé à la ministre de la Justice, Marylise Lebranchu, une modification du code de procédure pénale (art. 109 alinéa 2) pour mieux protéger le droit des journalistes, entendus sur des informations recueillies dans l'exercice de leur activité, à ne pas en révéler l'origine. Par ailleurs, les tribunaux français font toujours primer les principes du secret de l'instruction et du respect de la présomption d'innocence sur le droit pour les journalistes de rechercher et de diffuser librement leurs informations, en contradiction constante avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui considère, le plus souvent, ce droit comme prioritaire "compte tenu de l'intérêt de la société démocratique à maintenir la liberté de la presse". Des journalistes ont ainsi été mis en examen ou condamnés, en 2001, pour "diffamation" pour des articles d'investigation sur des sujets d'intérêt public liés aux affaires (affaire des ventes d'armes illégales à l'Angola, scandale de la transfusion sanguine), pour "atteinte à la présomption d'innocence" en vertu des nouvelles dispositions de la loi du 15 juin 2000 (publication d'une photo de l'ex-dirigeant de la compagnie pétrolière Elf, Alfred Sirven, à la prison de la Santé), et pour "atteinte à l'intimité de la vie privée", nouveau chef d'inculpation à l'encontre des photographes ayant bénéficié en 1999 d'un non-lieu général dans l'affaire de la mort accidentelle de la princesse de Galles en 1998. La Cour de cassation a, quant à elle validé, l'existence pour les journalistes d'un nouveau délit de "recel de violation du secret de l'instruction", en confirmant en appel la condamnation pour ce motif des journalistes ayant produit des documents provenant du dossier de l'enquête judiciaire dans l'affaire des "écoutes de l'Elysée". Les journalistes n'étant pas légalement soumis au secret de l'instruction, au contraire des magistrats, policiers et greffiers, ni au secret professionnel, comme le sont les avocats, le délit de "recel" du secret de l'instruction ou du secret professionnel est apparu, dans les années 1990, avec les affaires politico-financières, et a régulièrement été invoqué depuis par les tribunaux. La plus haute juridiction française a confirmé, en 2001, cette innovation juridique, alors même que la CEDH a condamné la France, en 1999, dans une affaire similaire, jugeant que la condamnation d'un journaliste pour "recel de document provenant de la violation du secret professionnel" constituait une "ingérence" anormale de l'autorité judiciaire dans la liberté d'expression. Cette évolution met en cause jusqu'au droit pour les journalistes accusés de diffamation d'apporter les preuves de leurs affirmations, ou de la réalité de leur travail d'enquête. Un journaliste a ainsi été condamné, en mai 2001, pour avoir produit, pour sa défense, des pièces d'un dossier d'instruction. Reporters sans frontières invite les autorités et les candidats à l'élection présidentielle à se prononcer sur cette évolution qui menace le libre exercice du journalisme d'investigation, et, au-delà, le droit de chaque citoyen à être librement informé, y compris sur les affaires les plus sensibles.
Publié le
Updated on 20.01.2016