Serbie : RSF appelle les autorités à condamner les nouvelles attaques contre les journalistes

Trois incidents graves récents contre des journalistes témoignent de la dégradation de la liberté d’information et du traitement réservé à la presse ces dernières semaines en Serbie. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités serbes de les condamner et de faire cesser cette surenchère dangereuse.

Après qu’elle a diffusé sur la chaîne privée TV Prva le troisième volet d’un reportage sur de supposées malversations financières dans une usine de Lucani en Serbie, la journaliste d’investigation serbe Tatjana Vojtehvski a fait l’objet d’un déferlement de haine sans précédent.   

  

Le directeur et le porte-parole de la société incriminée dans le reportage ont organisé une manifestation au siège de l’entreprise et appelé à faire emprisonner la journaliste au motif qu’elle avait mis en cause le fabricant d’armement prestataire notamment du ministère serbe de la Défense. Plus troublant encore, cet appel à manifester contre la journaliste a été relayé par le ministère lui-même.

 

Reconnue pour son travail d’investigation, Tatjana Vojtehvski fait depuis longtemps l’objet de menaces et pressions de la part de responsables politiques - y compris du président Vucic lui-même- relayées sur les réseaux sociaux ou les tabloïds serbes. Sa mise en cause par des citoyens, employés de cette usine, est en revanche un phénomène nouveau.

 

“Reporters sans frontières dénonce avec la plus grande fermeté les pressions exercées contre une journaliste d’investigation reconnue au motif qu’elle dérange par ses révélations, déclare Pauline Adès-Mével responsable de la zone UE-Balkans de RSF. Aucun journaliste, quel que soit le sujet sur lequel il enquête, ne devrait craindre d’être emprisonné pour son travail d’information et d’investigation. RSF enjoint les autorités serbes à condamner publiquement ces attaques verbales qui polluent l’espace public.”

 

Cet incident grave vient s’ajouter à une série d’attaques verbales contre des reporters ou des médias créant un climat particulièrement toxique pour l’exercice du journalisme indépendant.

 

Plusieurs responsables politiques serbes se sont livrés à ce genre de joutes verbales ces derniers jours dans le pays, dont Marko Parezanovic, un responsable des services secrets qui a déclaré que la plus grande menace qui pèse aujourd'hui sur la Serbie vient «d'agents étrangers qui travaillent dans les médias, les ONG et les partis politiques opposés au pouvoir».  Au même moment, Aleksandar Martinovic, un haut responsable du parti au pouvoir SNS a indiqué lors d’une séance de l'Assemblée nationale serbe, que le président de l’Association des journalistes de Voïvodine (NDNV) Nedim Sejdinović "ne souhaitait pas du bien à son pays" et qu'il voulait "nuire à tout ce que la Serbie a accompli de positif". Enfin, le lendemain, c’est un autre représentant politique du parti paysan populaire (proche du SNS au pouvoir) Marijan Rističevic qui s’est livré lors d’une séance de l’Assemblée consacrée à l’environnement à une nouvelle diatribe contre le président du syndicat de journalistes, l’accusant cette fois de propager une “pollution spirituelle”.


Pour Slavisa Lekic, le président de l’Association des journalistes indépendants de Serbie (NUNS) interrogé par RSF et dont l’organisation a répertorié 60 cas d’attaques (menaces, insultes, intimidations, pressions) contre des journalistes de la part de responsables politiques depuis 2016, “ces récents incidents, symptomatiques des critiques formulées par les responsables politiques serbes à l’encontre des médias, créent un climat d'hostilité envers les journalistes et génèrent de nouvelles attaques.”

 

RSF appelle également les autorités à enquêter et condamner les auteurs de l’attaque contre le rédacteur en chef du portail Zif Info, Zeljko Matorcevic grièvement blessé à Grocka lors d’une attaque le 9 octobre 2018 par un jeune homme non identifié qui l'a d'abord suivi, puis l'a frappé à la tête.

 

En Serbie, qui accuse un net recul (76e, -10) au Classement de la liberté de la presse de RSF, le climat est de plus en plus tendu depuis l’élection à la présidence de l’ancien Premier ministre Aleksandar Vucic, qui utilise les médias pro-gouvernementaux pour intimider les journalistes. Le recours au lexique de la “traîtrise” et de “l’espion à la solde de l’étranger” est devenu récurrent.

Publié le
Updated on 14.12.2018