RSF rappelle au nouveau Premier ministre de Malaisie ses engagements en matière de liberté de la presse

Le nouveau Premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad, qui a remporté à la surprise générale les élections législatives le 9 mai dernier, avait fait de la liberté de la presse l’un de ses thèmes de campagne. Quelques jours à peine après son investiture, Mahathir Mohamad revient déjà sur certains de ses engagements. Dans une lettre ouverte, Reporters sans frontières (RSF) s’adresse au chef du gouvernement pour lui rappeler ses promesses et l’importance d’une presse libre en Malaisie.

Tun Dr. Mahathir bin Mohamad

Perdana Menteri Malaysia Pejabat Perdana Menteri

Blok Utama, Bangunan Perdana Putra

Pusat Pentadbiran Kerajaan Persekutuan

62502 PUTRAJAYA



Monsieur le Premier ministre,



Le mercredi 9 mai 2018, vous avez mené l’opposition à la victoire, pour la première fois de l’histoire de la Malaisie indépendante. Ainsi, vous représentez “l’espoir” pour une nouvelle Malaisie, qui demeure cette année à la 144e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2018.


Dans le manifeste de la coalition d’opposition Pakatan Harapan, que vous avez rejointe en 2016, vous avez promis que, sous votre gouvernance, la liberté de la presse serait garantie en Malaisie. Une promesse que vous avez réitérée de vive voix à plusieurs reprises au cours de votre campagne électorale. Vous vous êtes engagé à abroger toutes les lois draconiennes qui instaurent depuis des décennies un climat d’autocensure et de répression au sein des médias : la Loi sur la presse et les publications de 1984, la Loi sur la sédition de 1948, la Loi sur le Conseil national de sécurité de 2016, ainsi que les dispositions de la Loi sur les communications et le multimédia de 1998 et de la Loi sur les infractions à la sécurité de 2012 entravant la liberté de la presse. Au lendemain de l’adoption par le Parlement de la Loi dite “anti-fake news”, qui punit d’une peine pouvant aller jusqu’à 6 ans de prison et / ou d’une amende de 500 000 ringgits malaisiens (environ 105 000 euros) pour toute personne ayant créé, publié, imprimé, diffusé ou partagé des “nouvelles, informations ou données fausses ou partiellement fausses” à propos de la Malaisie et de ses citoyens, vous avez fustigé cette dernière lors d’une conférence de presse, et avez déclaré vouloir également l’abroger.


Vous vous êtes également engagé, monsieur le Premier ministre, à créer un organe de régulation des médias indépendant, ainsi qu’à garantir que le pouvoir ne puisse plus influencer et instrumentaliser le radiodiffuseur public RTM et l’agence de presse gouvernementale Bernama.


Monsieur le Premier ministre, désormais à la tête de l’Etat malaisien, il vous incombe de tenir vos promesses et de respecter vos engagements afin de garantir la liberté de la presse.


Or, votre gouvernement à peine formé, vous revenez d’ores et déjà sur vos engagements de campagne. Alors que vous avez vous-même été l’une des premières victimes de la Loi “anti-fake news”, vous avez annoncé il y a quelques jours qu’elle ne sera plus abrogée mais amendée, afin d’y définir plus clairement la notion de fausses informations, et ce malgré la protestation des journalistes et des représentants des partis composant votre alliance. Vous avez affirmé que la liberté de la presse, comme toute chose, devait “être limitée”.


Cette volte-face suscite nos plus grandes craintes.


RSF a ainsi dû dénoncer pendant les 22 années de vos mandats de Premier ministre sous la bannière de l’UMNO (de 1981 à 2003) la répression brutale de toute voix dissidente. Vous avez ordonné la suspension de journaux, emprisonné vos critiques, y compris des journalistes, harcelé les médias indépendants et instrumentalisé la loi sur la sécurité intérieure pour imposer l’autocensure dans les rédactions.


Monsieur le Premier ministre, à l’aube de votre nouveau mandat en suite d’élections remarquées, RSF sera particulièrement vigilante à l’avenir des promesses que vous avez formulées de garantir la liberté de la presse. Nous espérons que votre retour au pouvoir signera la fin du règne de l’autocensure et de la répression des médias et de la liberté d’informer en Malaisie.


Avec mes respectueux hommages, je vous prie d'agréer, monsieur le Premier ministre, l’expression de ma très haute considération.


Christophe Deloire

Secrétaire général

Publié le
Updated on 23.08.2019