RSF lance un appel pour qu’une réelle liberté de la presse soit au coeur de l'Algérie nouvelle

A la veille du référendum constitutionnel en Algérie, Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités algériennes à prendre les mesures qui s’imposent pour que “l'Algérie nouvelle” souhaitée par le président Tebboune s'accompagne de réels progrès en matière de liberté de la presse.

Le projet de réforme constitutionnelle algérien, initiative phare du président Abdelmadjid Tebboune, sera présenté au référendum populaire le 1er novembre 2020, date anniversaire du début de la guerre d'indépendance (1954 -1962). Dès son investiture, en décembre 2019, Abdelmajid Tebboune s’était engagé à réviser la constitution afin de répondre aux aspirations du Hirak, le mouvement de protestation populaire né en février 2019. Le chef de l’Etat propose aujourd’hui à ses compatriotes de « bâtir une Algérie nouvelle » en renforçant les libertés fondamentales, dont la liberté de la presse et de l’information.

 

 

L’article 54 de ce projet inscrit et garantit la liberté de la presse “écrite, audiovisuelle et sur les réseaux sociaux”, en précisant qu’elle “ne peut être utilisée pour attenter à la dignité, aux libertés et aux droits d’autrui” et plus loin, que la liberté de la presse comprend “le droit de diffuser des informations, des idées, des images et des opinions dans le cadre de la loi et du respect des constantes et des valeurs religieuses, morales et culturelles de la Nation”.

 

 

Or, ce type de limites inscrites dans la loi, qui concernent notamment les “constantes nationales” telles que le caractère républicain de l’Etat, l’islam en tant que religion de l’Etat, l’intégrité et l’unité du territoire national, mais aussi la sécurité nationale, constituent des dispositions inquiétantes de par leur manque de précision dans les termes et les interprétations variées auxquelles elles peuvent prêter. Ces dispositions entrent en conflit avec le droit international. Ainsi, le Comité des droits de l’homme, dans son Observation générale n°34, souligne que l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par l'Algérie en 1989, prévoit qu’aucun organe d’information ne peut être pénalisé au motif qu’il est critique d’un système politique et social. 

 

 

Par ailleurs, l’article 55 du projet sur le droit d’accès et d’obtention d’informations, prévoit que son exercice ne peut pas porter atteinte aux ’“intérêts légitimes des entreprises”. Cette limite n’est pas reconnue en matière de liberté d’expression dans le droit international, et fait peser un risque réel sur le droit d’informer sur les questions économiques - un domaine que le législateur algérien ne sépare pas forcément du politique.

 

 

Ces garanties constitutionnelles marquent certes une avancée pour le droit et la liberté d’informer en Algérie. Mais ces dispositions ne sauraient être effectives si la législation nationale actuelle, et notamment le Code pénal, n’est pas mise en conformité avec cette nouvelle constitution et avec les engagements internationaux de l’Algérie en matière de liberté d’information et de presse, déclare le directeur du bureau Afrique du Nord de RSF, Souhaieb Khayati. Nous appelons donc le président Tebboune à faire en sorte que “l'Algérie nouvelle” s'accompagne de réels progrès en matière de liberté de la presse.”

 

 

Ce référendum intervient dans un contexte de répression de la liberté de la presse qui s’est accrue depuis le début de l’épidémie de coronavirus et qui laisse planer des doutes quant à la réelle volonté des autorités algériennes de garantir la liberté des Algériens à être informés et à leurs journalistes de pouvoir informer. Un projet de loi criminalisant la diffusion de soi-disant “fausses informations” qui portent "atteinte à l'ordre public et à la sûreté de l'Etat" a été voté en avril 2020 par les députés. Cet amendement du Code pénal prévoit des peines allant de une à trois années de prison, et du double en cas de récidive. La peine peut même aller jusqu'à cinq ans si les faits ont lieu durant des “périodes de confinement sanitaire ou d'une catastrophe naturelle, biologique ou technologique ou de toute autre catastrophe”. 

 

Plusieurs journalistes font l'objet de poursuites judiciaires ou de condamnations à des peines de prison ferme. Le 15 septembre 2020, le journaliste et directeur du site d’information Casbah Tribune et correspondant de TV5 Monde et de RSF en Algérie Khaled Drareni a été condamné en appel à deux ans de prison ferme pour “incitation à attroupement non armé et atteinte à l’unité nationale”.

 

L'Algérie figure à la 146e place sur 180 pays du Classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF. Elle a perdu cinq places par rapport à 2019 et 27 par rapport à 2015. 

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Mise à jour le 30.10.2020