Reporters sans frontières publie le premier classement mondial de la liberté de la presse (octobre 2002)

Le premier classement mondial de la liberté de la presse révèle des surprises parmi les démocraties occidentales : les Etats-Unis sont moins bien classés que le Costa Rica, et l'Italie se trouve derrière le Bénin. La France, quant à elle, est située en 11e position. Les cinq pays les plus liberticides au monde sont la Corée du Nord, la Chine, la Birmanie, le Turkménistan et le Bhoutan.

Des surprises pour les démocraties occidentales : les Etats-Unis moins bien classés que le Costa Rica, l'Italie derrière le Bénin Reporters sans frontières publie le premier classement mondial de la liberté de la presse. Il établit tout d'abord que la situation de la liberté de la presse est menacée aux quatre coins de la planète. Dans les vingt pays les plus mal classés, on trouve des Etats asiatiques, africains, américains et européens. La situation de l'Asie est particulièrement critique puisqu'elle regroupe les cinq pays les plus liberticides au monde : la Corée du Nord, la Chine, la Birmanie, le Turkménistan et le Bhoutan. Si l'on s'arrête sur les pays les mieux classés, on se rend compte que le respect de la liberté de la presse n'est pas le privilège des pays riches. Des Etats comme le Costa Rica ou le Bénin sont là pour nous rappeler que l'émergence d'une presse libre ne dépend pas seulement de la situation économique d'un pays. Pour établir ce classement, Reporters sans frontières a demandé à des journalistes, des chercheurs ou des juristes de répondre à cinquante questions concernant l'ensemble des atteintes à la liberté de la presse (assassinats ou arrestations de journalistes, censures, pressions, monopole de l'Etat dans certains domaines, sanction des délits de presse, régulation des médias, etc.). Cent trente-neuf pays apparaissent dans le tableau final. Les autres sont absents, faute d'informations fiables et étayées. Dans les pays les plus mal classés, la liberté de la presse n'est qu'un vain mot. Les journaux indépendants n'existent pas. La seule voix reste celle des médias publics, très étroitement contrôlés et surveillés par le gouvernement. Les très rares journalistes indépendants sont constamment harcelés par les autorités, emprisonnés ou contraints à l'exil. La presse internationale est interdite ou autorisée au compte-gouttes, dans tous les cas surveillée de près. En tête du classement, on trouve quatre pays ex-aequo : la Finlande, l'Islande, la Norvège et les Pays-Bas. Les pays scandinaves respectent scrupuleusement la liberté de la presse dans leur pays, mais témoignent aussi, à travers leurs prises de position, de leur attachement à la liberté de la presse à l'étranger. Ils l'ont fait encore récemment en Erythrée ou au Zimbabwe. Le premier pays non européen est le Canada qui occupe la cinquième place. Paradoxalement, certains régimes élus démocratiquement sont mal classés. C'est notamment le cas de la Colombie (114e) ou du Bangladesh (118e). Dans ces pays, des mouvements armés, des milices ou des partis politiques mettent constamment en péril la sécurité des journalistes. De son côté, l'Etat n'utilise pas tous les moyens à sa disposition pour protéger les journalistes et combattre l'impunité dont bénéficient très souvent les responsables de ces violences. - Le Costa Rica mieux classé que les Etats-Unis Le mauvais classement relatif des Etats-Unis (17e) est essentiellement lié au nombre de journalistes interpellés ou incarcérés. Des arrestations souvent motivées par le refus des journalistes de révéler leurs sources aux tribunaux. Par ailleurs, depuis le 11 septembre 2001, plusieurs professionnels de la presse ont été arrêtés pour avoir violé les périmètres de sécurité de certains bâtiments officiels. Le pays du Sud le mieux classé est le Costa Rica, en 15e position. Cet Etat d'Amérique centrale est traditionnellement le bon élève du continent en matière de respect de la liberté de la presse. En février 2002, il a même quitté le "club" des dix-sept pays américains qui continuent de punir par des peines de prison le délit d'"outrage" aux fonctionnaires. L'assassinat, en juillet 2001, du journaliste Parmenio Medina reste une exception dans l'histoire de la presse costaricienne. Dernière dictature du continent américain, Cuba (134e) est le seul pays de la région où il n'existe aucune pluralité de l'information et où des journalistes sont incarcérés. En Haïti (106e), les journalistes sont victimes de milices dont les agissements sont couverts par le gouvernement. - Une mauvaise surprise en Europe : l'Italie Les Etats de l'Europe des Quinze sont bien classés à l'exception de l'Italie (40e). Dans ce pays, le pluralisme de l'information est sérieusement menacé. Le président du Conseil, Silvio Berlusconi, multiplie les pressions sur la télévision publique, place ses hommes de confiance au sein des médias d'Etat, et continue de cumuler ses fonctions de chef de l'exécutif et de patron d'un groupe de presse privé. Par ailleurs, l'emprisonnement du journaliste Stefano Surace, condamné pour des délits de presse vieux de trente ans, des cas de surveillance de journalistes, de perquisitions, de convocations judiciaires abusives et de saisies de matériel expliquent cette mauvaise place. La France (11e) arrive seulement en huitième position des pays de l'Union européenne en raison de certaines dispositions inquiétantes pour la protection du secret des sources et du placement en garde à vue de plusieurs journalistes au cours de ces derniers mois. Parmi les candidats à l'entrée dans l'Union européenne, la Turquie (99e) est particulièrement mal classée. Malgré les efforts du gouvernement, dans la perspective de l'adhésion de ce pays à l'Union européenne, de nombreux journalistes sont encore condamnés à des peines de prison et des médias sont régulièrement censurés. Les entraves à la liberté de l'information sont particulièrement graves dans le sud-est du pays. Dans d'autres pays européens, comme la Biélorussie (124e), la Russie (121e) et les anciennes républiques soviétiques, il est encore difficile d'exercer la profession de journaliste. Plusieurs professionnels de la presse ont été assassinés ou sont emprisonnés dans cette partie du monde. Le journaliste Grigory Pasko, incarcéré depuis décembre 2001 dans la région de Vladivostok (Russie), a été condamné à quatre ans de prison pour avoir rendu publiques des images de déversement de déchets radioactifs liquides par la flotte militaire russe en mer du Japon. - La situation au Moyen-Orient et l'attitude ambivalente d'Israël Aucun pays du monde arabe ne figure dans les cinquante premiers de ce classement. Le Liban arrive seulement en 56e position et l'état de la liberté de la presse dans la région n'est guère encourageant. En Irak (130e) et en Syrie (126e), l'Etat utilise tous les moyens à sa disposition pour contrôler la presse et faire taire les voix dissidentes. Saddam Hussein, en particulier, n'a fixé qu'un objectif aux médias de son pays : relayer la propagande officielle. En Libye (129e) et en Tunisie (128e), aucune critique à l'égard du colonel Mouammar Kadhafi ou du président Zine Ben Ali n'est tolérée. Du fait de l'affaiblissement politique de l'Autorité palestinienne (82e), les atteintes au travail des journalistes dans cette zone se sont réduites. Toutefois, des médias d'opposition islamistes ont été fermés, plusieurs tentatives d'intimidation et d'agression contre des journalistes palestiniens et étrangers ont été recensées, et de nombreux sujets demeurent tabous. L'objectif est clair : présenter au monde une image unitaire du peuple palestinien et masquer notamment les manifestations de soutien aux attentats anti-israéliens. L'attitude d'Israël (92e) envers la liberté de la presse est ambivalente. Malgré de fortes pressions exercées sur la télévision et la radio publiques, le gouvernement israélien respecte la liberté d'expression des médias israéliens. En revanche, en Cisjordanie et à Gaza, Reporters sans frontières a enregistré de très nombreuses violations du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantissant la liberté de la presse, ratifié par l'Etat hébreu. Depuis mars 2002, début de l'incursion de l'armée israélienne dans les villes palestiniennes, de très nombreux journalistes ont été malmenés, menacés, arrêtés, interdits de libre circulation, pris pour cible, blessés, privés de leur accréditation de presse ou encore expulsés. - Les bons et les mauvais exemples africains L'Erythrée (132e) et le Zimbabwe (122e) sont les Etats les plus répressifs d'Afrique subsaharienne. En Erythrée, toute la presse privée a été interdite par le gouvernement en septembre 2001 et dix-huit journalistes sont actuellement emprisonnés. De son côté, le président zimbabwéen, Robert Mugabe, s'illustre régulièrement par ses prises de position particulièrement virulentes envers la presse étrangère ou d'opposition. A l'opposé, le pays africain le mieux classé est le Bénin (21e), qui figure pourtant parmi les quinze pays les plus pauvres du monde selon le dernier rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Enfin, dans d'autres Etats africains comme l'Afrique du Sud (26e), le Mali (43e), la Namibie (31e) ou le Sénégal (47e), il existe une réelle liberté de la presse. -
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Updated on 25.01.2016