Quatre disparitions de journalistes dans l’État de Michoacán attendent toujours leur élucidation

Quatre journalistes sont toujours portés disparus dans l’État de Michoacán (Sud-Ouest), l’un des épicentres de l’offensive fédérale contre les cartels de la drogue, engagée peu après l’investiture du président Felipe Calderón, en décembre 2006. La disparition de José Antonio García Apac, le 20 novembre 2006, a précédé de peu le déclenchement des opérations. Quatre ans plus tard, personne ne sait ce qu’il est advenu du directeur de l’hebdomadaire local Ecos de la Cuenca (lire aussi le rapport de mission).


Le Michoacán est notamment connu pour son redoutable cartel – “La Familia” – dont l’un des chefs, Arnaldo Rueda, a été arrêté en 2009. Au cours d’un récent déplacement dans la région, Reporters sans frontières a malheureusement constaté l’impasse totale dans les différentes enquêtes. Pourtant, comme nous l’a confié son président Víctor Manuel Serrato Lozano, la Commission des droits de l’homme de l’État (CEDH) a diligenté quelque 600 actions concernant 123 affaires de disparitions survenues dans la période 2008-2010.


Onze dossiers de plaintes concernant des agressions contre des journalistes s’empilent dans les bureaux de la CEDH. La plupart de ces violences ont trait à des perquisitions illégales et des menaces impliquant la police ou les forces armées. Les attaques envers la presse sont tout autant imputables aux fonctionnaires qu’au crime organisé. Les pesanteurs bureaucratiques, tant au niveau des États qu’à l’échelon fédéral, expliquent également la déperdition de dossiers qui se devaient d’être traités en priorité.


Au Mexique, le code pénal fédéral définit la notion de “disparition forcée” uniquement dans des cas impliquant des fonctionnaires ou les dépositaires d’une charge publique. Par ailleurs, la qualification de “disparition” n’entre pas dans le cadre des délits punis par le code pénal de l’État de Michoacán. Juridiquement donc, les quatre affaires récentes concernant des journalistes sont instruites en tant que “privations illégales de liberté”. En réponse à ce flou légal, les différentes administrations concernées, qu’elles soient locales ou fédérales, n’ont de cesse de se renvoyer mutuellement les dossiers.


Pendant ce temps, les familles des quatre journalistes disparus du Michoacán s’épuisent à relancer les autorités afin d’obtenir des réponses.


L’enquête sur la disparition de José Antonio García Apac est pratiquement revenue au point mort. Le dossier a fait l’objet d’une procédure dite de “réserve” à trois reprises – la dernière remontant à mars 2008 -, faute d’éléments nouveaux susceptibles de relancer les recherches. D’après ses proches, le journaliste détenait des informations concernant les collusions avec le narcotrafic de fonctionnaires de l’État et de municipalités du Michoacán. Une situation dont José Antonio García Apac avait, à plusieurs reprises, tenté d’alerter les autorités fédérales peu avant sa disparition.

Le cas de Mauricio Estrada Zamora n’a guère plus avancé. Le journaliste, correspondant du quotidien régional La Opinión de Apatzingán, est porté disparu depuis le 12 février 2008. Au lendemain de sa disparition avait paru un article signé de lui, relatif à la détention d'une bande de narcotrafiquants dans la localité d'Aguililla. Un agent du groupe "anti-enlèvement" avait alors confié à la famille y voir un lien de cause à effet. Selon une autre version, le journaliste entretenait un différend avec un surnommé "El Diablo" (le diable), en fait un policier de l'ex-Agence fédérale d'investigation (le FBI mexicain) entièrement affectée à la lutte antidrogue. Les raisons du conflit n'ont jamais été révélées et "El Diablo" a été muté hors du Michoacán, le 11 février 2008, veille de la disparition du journaliste de La Opinión.


“La meilleure de sa région”


Maria Esther Aguilar Cansimbe n’a plus donné signe de vie depuis le 11 novembre 2009. Ses proches craignent que l’enquête ne s’enlise. Maria del Carmen, sœur de la journaliste, est convaincue que les autorités savent quelque chose, et que leur silence est volontaire. Maria Esther Aguilar Cansimbe travaillait depuis dix ans comme correspondante pour les quotidiens ABC de Michoacán, Diario de Zamora, El Sol de Zamora et La Voz de Michoacán. Elle couvrait les affaires criminelles, les affaires de drogue, pour le quotidien El Cambio de Michoacán. “Elle était la meilleure de sa région”, nous a assuré l’un des rédacteurs en chef du journal.


Peu avant de disparaître, la journaliste avait relaté les abus de pouvoir et les brutalités du chef de la sécurité publique de la municipalité de Zamora, Jorge Arturo Cambroni Torre. Le 30 octobre 2009, elle avait couvert la capture musclée par l’armée de Jorge García Garnica alias “El Bofo”, une autre figure du cartel de “La Familia”. Des informations de ce genre peuvent valoir des représailles des cartels mais aussi de certains représentants de la force publique, craignant pour leur image ou leur réputation. Victime de menaces, Maria Esther Aguilar Cansimbe s’était signalée à la police.


Enfin, Ramón Ángeles Zalpa, correspondant du journal Cambio de Michoacán depuis dix ans, est introuvable depuis le 6 avril 2010. Entre la date de sa disparition et juillet dernier, le ministère fédéral de la Justice a mené dix-huit procédures. Aucune des lignes d’enquête envisagées n’a été confirmée et le mobile professionnel serait ici moins certain.


L’offensive fédérale contre les cartels et les luttes intestines au sein du crime organisé ont causé la mort d’au moins 30 000 personnes en quatre ans. Le pays compte parmi les plus meurtriers de la planète pour la presse. Depuis 2000, 69 journalistes ont perdu la vie et onze sont portés disparus depuis 2003. Douze professionnels des médias ont été assassinés depuis le début de l’année, dont huit en lien probable ou avéré avec la profession. Le Mexique se positionne au 136e sur 178 pays répertoriés dans le classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières en octobre 2010.


Reporters sans frontières réitère sa demande d’être associée aux consultations sur les nouveaux mécanismes de protection en faveur des journalistes recommandés par les autorités fédérales.

Publié le
Mise à jour le 31.05.2017