Purge au sein des médias publics ; radios communautaires sur le qui-vive

Trois semaines après le coup de force institutionnel qui a renversé le président Fernando Lugo, le 22 juin 2012, un climat de tension et d’intimidations règne au sein des médias publics, dont Reporters sans frontières a reçu confirmation par plusieurs sources internes et externes. L’apparente trêve imposée par la visite, les 2 et 3 juillet derniers, du secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA) José Miguel Insulza, n’aura donc pas duré. La liberté d’information pâtira inévitablement de ces pressions contre des journalistes et au-delà, contre une partie de la profession, réputés pour leur opposition à l’offensive parlementaire du 22 juin. “Les faits qui nous ont été rapportés démontrent, hélas, une volonté de reprise en main du service public d’information et de communication dont la motivation politique est claire : minimiser au maximum les conditions et les conséquences de la destitution de Fernando Lugo. Or, un service public digne de ce nom doit justement tenir compte de l’état réel de l’opinion publique. Les manœuvres destinées à écarter des journalistes jugés embarrassants, comme les censures partielles de certains programmes trahissent un peu plus la logique des vainqueurs du 22 juin, au détriment du nécessaire débat pluraliste qui devrait avoir lieu. Les garanties constitutionnelles en la matière doivent être respectées”, a déclaré Reporters sans frontières. Objectif stratégique pour le nouveau pouvoir, les médias publics, nés sous le mandat de Fernando Lugo – TV Pública, Radio Nacional et l’agence d’informations IPParaguay – ont en même temps constitué, depuis le 22 juin, le cœur de ralliement des mobilisations citoyennes contre le coup de force. “On m’a prié de venir signer un document entérinant mon départ”, nous a confié une source du service public. Au total, huit journalistes et professionnels de la communication, issus des médias publics ou employés au sein de l’ancienne administration, ont eu confirmation définitive de leur renvoi, le 12 juillet : Angelina Agüero Villalba (service communication, présidence de la République) ; Daniela María Candia Abatte (Televisión Pública) ; Roque González Benítez (Secrétariat d’information et de communication pour le développement) ; Fátima Elizabeth Rodríguez González (idem, et productrice pour TV Pública et Radio Nacional) ; Carlos Hector Troya Palacios (IPParaguay) ; Rafael Alejandro Urzua (photographe, présidence de la République) ; Osvaldo Zayas (Secrétariat à l’action sociale) ; Tadeo Blanco (Secrétariat à l’environnement). Dès le 22 juin, les directeurs d’alors de TV Pública et IPParaguay s’étaient démis de leurs fonctions. Problèmes “techniques” récurrents
La tension, très palpable en interne, se ressent également sur les ondes. Suspendu le 23 juin, le programme hebdomadaire “Ape ha Pepe” (“ici et là-bas” en guarani) de Radio Nacional, où interviennent des Paraguayens de l’étranger, avait fait son retour à l’antenne le 30 juin. Or, le 7 juillet, l’émission a subi un curieux blocage. “J’ai d’abord tenté d’appeler le studio et je n’ai pas reçu de réponse”, nous explique Gustavo Zaracho, du collectif Paraguay en France. “J’ai donc appelé un portable de la rédaction. Sur place, on s’est rendu compte que le standard était bloqué et ne pouvait pas répercuter les appels extérieurs. Pourtant, la communication a été rétablie dix minutes avant la fin du programme. Dans l’intervalle, via les portables, j’ai signalé le problème à l’antenne. Un représentant de la station m’a assuré d’un ton menaçant qu’il s’agissait d’une question ‘technique’. Se trouvait avec lui un policier normalement chargé de garder le bâtiment”, a-t-il ajouté. A supposer qu’ils soient juste “techniques”, des incidents de ce type sont devenus récurrents depuis le 22 juin. Ainsi, précédemment, avec le programme “Micrófono Abierto” (“micro ouvert”) de TV Pública ou l’émission “Red Pública” de Radio Nacional. Muette depuis le 24 juin, officiellement en raison d’une coupure de courant, la radio publique ZP 12 de Pilar a pu reprendre l’antenne le 11 juillet, après réparation de ses équipements. Législation redoutée
Le bras de fer entre Fernando Lugo et le parlement portait, en partie, sur la loi de télécommunications, dont plusieurs modifications récentes pourraient compromettre l’avenir des radios communautaires, aux faibles ressources et souvent en attente de licence de diffusion. Les nouvelles clauses de la loi introduites et votées par les parlementaires prévoient, en particulier, l’interdiction de toute publicité au sein de ces radios, la limitation de leur capacité d’émission et la possibilité de poursuites systématiques contre leurs représentants en cas d’absence d’autorisation d’émettre. Ces dispositions s’étaient heurtées au veto présidentiel de Fernando Lugo. Elles pourraient, désormais, entrer rapidement en vigueur. La nouvelle direction de la Commission nationale des télécommunications (Conatel) a annoncé, le 8 juillet, le démantèlement de quelque 200 petites stations. Reporters sans frontières rappelle que l’application sans discernement, et selon des critères idéologiques discutables, d’une telle loi violerait les principes de la Convention américaine des droits de l’homme à laquelle le Paraguay est soumis en tant qu’État membre de l’OEA. Opposantes résolues au coup de force du 22 juin, “les radios communautaires sont très souvent victimes de l’hostilité des ‘caudillos’ politiques locaux. On le voit actuellement avec la Radio Canindeyu, qui a fourni un important travail d’information sur le massacre du 15 juin à Curuguaty” (l’un des prétextes utilisés par les parlementaires pour destituer Fernando Lugo onze jours plus tard – ndlr), nous explique un journaliste d’une radio indépendante d’Asunción. “Elle sont très mal perçues par l’Union des radiodiffuseurs du Paraguay, l’une des premières organisations à s’être réunies avec le nouveau gouvernement de Federico Franco.”
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016