Pour “fêter” les un an de censure de son site en Egypte, RSF le remet en ligne

Des centaines de sites, dont celui de RSF, sont toujours bloqués en Egypte. Pour dénoncer cet emprisonnement virtuel des journalistes, RSF a décidé de contourner cette censure en remettant son site en ligne.

Sur la route de la révolution numérique, le gouvernement égyptien a encore bien du chemin à faire. Alors que l’ancien ministre de la Communication se targuait l’an passé d’encourager le développement des télécoms, de l’internet des objets et d’autres nouvelles technologies, y voyant là un “droit humain” (sic), Reporters sans frontières suggère au régime égyptien une piste plus simple pour avancer sur le plan numérique : cesser le blocage systématique de centaines de sites, notamment d’information. Et pour montrer la voie aux autorités, RSF débloque ce 10 août son site, censuré dans le pays depuis un an, en le remettant en ligne grâce à la technique du “mirroring” utilisée pour notre opération Collateral Freedom.


>>> Consultez le site de RSF en Egypte <<<


Al Jazeera, Al Bedaiah, Huffington Post Arabic, Medium, Buzzfeed… Parmi les sites censurés, près de 100 sites d’information ont été bloqués l’an passé selon une étude publiée en juillet 2018 par l’association pour la liberté de pensée et d’expression en Egypte (AFTE) et l’ONG de lutte pour la transparence et contre la censure sur internet Ooni. “Nous étions en train de travailler quand soudain, il a été impossible d’accéder au site, raconte à l’AFTE Lina Atallah, la rédactrice en chef du média indépendant Mada Masr. Des sites pro-régimes ont commencé à diffuser des informations selon lesquelles quelques sites étaient bloqués. En fait, cela en concerne un bien plus grand nombre. C’est massif et systématique.” Le seul tort de Mada Masr et des autres médias censurés ? Ne pas diffuser des infos pro-régime. Le quotidien libanais Al Akhbar a par exemple été censuré après avoir publié un article sur la démission du directeur des services de renseignement.


Selon plusieurs sources consultées par RSF, les autorités bloquent ces sites en utilisant plusieurs technologies, et notamment le deep packet inspection (DPI). En Egypte, les rares points d’entrée et de sortie permettant d’accéder à Internet sont placés sous le joug du régime. Les paquets acheminés, c’est-à-dire les requêtes des utilisateurs ainsi que les données qui leur sont envoyées, sont filtrés à ces péages numériques ultra-stratégiques. Des URL de sites et, plus globalement, des données qui seraient identifiées préalablement peuvent être ainsi automatiquement bloquées grâce à des équipements spécifiques vendus par des sociétés privées, sans qu’un recours humain ne soit nécessaire.


Sissi décide, les opérateurs exécutent... ou vont en prison


La mise en place de cet équipement DPI et des autres techniques de censure nécessite la coopération des opérateurs. Même les opérateurs internationaux qui affichent des standards internationaux en matière de respect des droits de l’Homme et de liberté d’expression - comme Vodafone qui compte 6 500 employés dans le pays et une part de marché de 40,3% - sont forcés de se plier aux règles liberticides du régime. Sans quoi ils risquent l’emprisonnement de leurs salariés, ainsi que le retrait de leur licence dans un pays où le taux de pénétration d’Internet est de 42% - ce qui promet une marge de progression intéressante sur le marché.


“Cette censure en ligne constitue le côté pile du modèle répressif que veut généraliser le régime égyptien. Il s’agit de mettre les journalistes “en mode silencieux” pour mieux diffuser le contenu pro-régime. Le côté face, ce sont les technologies qui servent à les traquer, et qui pour certaines sont vendues par des entreprises européennes, déclare Elodie Vialle, responsable du Bureau Journalisme et Technologie. RSF demande aux démocraties de condamner le modèle d’un Internet fermé, censuré, surveillé du régime égyptien. ”  


Empêcher la vente des technologies de surveillance


Les démocraties n’en prennent pas vraiment le chemin. Ou alors, il est bien sinueux. La société française Amesys a ainsi vendu son système de surveillance aux autorités égyptiennes. Une proposition de la Commission européenne actuellement en discussion prévoit de renforcer les contraintes pesant sur l’exportation des technologies de surveillance. Mais neuf Etats membres, dont la Suède et la Finlande, tentent de freiner cette proposition.


Cet “anniversaire” peu festif du blocage du site de RSF, parmi tant d’autres, survient également dans un contexte de renforcement de l’étau du régime sur Internet. Mi-juillet, une “cyber-law” a été adoptée. Elle vise à légitimer des pratiques liberticides déjà à l’oeuvre et pourtant contraires à l’article 57 de la Constitution égyptienne de 2014 qui garantit l’accès à l’information, protège la liberté de la presse et restreint la censure.


L’Egypte, qui occupe le 161e rang au Classement mondial de la liberté de la presse, est actuellement l’une des plus grandes prisons au monde pour les journalistes.

Publié le
Updated on 10.08.2018