Peine capitale confirmée pour un net-citoyen et nouvelles arrestations

Reporters sans frontières est choquée d’apprendre que la condamnation de Saeed Malekpour à la peine capitale a été confirmée par la Cour suprême, le 16 janvier 2012, sous la pression des gardiens de la révolution, selon sa famille. Ce concepteur de sites Internet âgé de 35 ans, résident permanent au Canada, avait été arrêté le 4 octobre 2008, alors qu’il rendait visite à sa famille. Il avait été condamné à la peine de mort en janvier 2011 pour "agitation contre le régime" et "insultes contre l’Islam”. Les arrestations de net-citoyens se poursuivent d'ailleurs dans le pays. Le 11 janvier 2012, Simien Nematollahi, collaboratrice du site www.majzooban.org (proche du mouvement soufiste iranien), a été arrêtée à son domicile de Téhéran par des agents du ministère des Renseignements pour “publicité contre le régime”. Les 7 et 8 septembre 2011, plusieurs membres de la rédaction de ce site avaient été arrêtés, avant d’être libérés sous caution le 4 octobre 2011, dans l’attente de leur jugement. Le 10 janvier 2012, Mohammad Solimaninya, directeur du site u24, un réseau social professionnel iranien, créateur et hébergeur de plusieurs sites d’associations et d’ONG représentant la société civile et des intellectuels iraniens, a été arrêté suite à une convocation au tribunal de la révolution de la ville de Karaj (nord de Téhéran). Le même jour, des agents en civil du ministère des Renseignements ont perquisitionné son domicile et confisqué son ordinateur, ses disques durs et des CDs. Sa famille ignore toujours le motif de son arrestation ainsi que son lieu de détention. Reporters sans frontières s’inquiète également du sort de Mohammad Reza Pourshajari, un blogueur emprisonné depuis le 12 septembre 2010. Accusé d’"insulte envers le prophète" pour des articles publiés sur son blog et des lettres envoyées aux responsables du régime, alors qu’il était en prison, il a été jugé, le 21 décembre 2011, par la 109ème chambre du tribunal de la révolution de la ville de Karaj. Selon sa fille, “le procès a duré un quart d’heure et s’est déroulé en l’absence de l’avocat du blogueur”. Le chef d’accusation d’"insulte envers le prophète", dont la définition est extrêmement vague, est passible de la peine capitale, et constitue une arme fréquemment utilisée par les autorités pour faire peur à toutes les voix critiques tentées de défier le régime. Le 10 janvier 2012, Reporters sans frontières avait adressé un courrier à la Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Navi Pillay, pour lui faire part de son inquiétude et solliciter son intervention urgente en Iran. --------------- Peines de mort et Internet national : escalade de la répression en Iran
11 janvier 2012
La politique de répression sans fin menée par le gouvernement iranien contre les journalistes et net-citoyens se durcit chaque jour davantage, dans le cadre d’une multiplication des exactions contre les dissidents et d’un élargissement de la censure sur Internet. Le 10 janvier 2012, Reporters sans frontières a adressé un courrier à la Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Navi Pillay, pour lui faire part de son inquiétude et solliciter son intervention urgente. Le rapport ci-dessous était attaché à cette lettre. Deux blogueurs condamnés à la peine capitale Deux net-citoyens, Saeed Malekpour et Vahid Asghari, avaient été condamnés à mort en janvier 2011 pour "agitation contre le régime" et "insultes à l’Islam". Leur verdict vient d’être confirmé par les tribunaux iraniens. La cour suprême doit désormais se prononcer. D’après la famille de Saeed Malekpour, actuellement emprisonné, le juge Mohammad Moghisieh, président de la 28ème chambre du tribunal de la Révolution de Téhéran, a annoncé en octobre 2011 la confirmation de la peine. Vahid Asghari, étudiant en technologies de l’information, âgé de 25 ans, lui aussi incarcéré, aurait subi des actes de torture. Son procès aurait eu lieu à la fin de l’année 2010, mais sa famille a été récemment informée de sa condamnation à mort par Abolghasem Salevati, président de la 15ème chambre du tribunal de la Révolution. Nouvelle vague d’arrestations de journalistes Le Guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, a lancé une guerre sans merci contre les journalistes et les net-citoyens depuis la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en juin 2009. Plus d’une centaine de blogueurs ont été arrêtés et condamnés à des peines allant de un an à vingt ans de prison ferme au nom d’une stratégie paranoïaque de riposte contre la "guerre douce "menée par les "ennemis de l’Iran". La Compagnie des Télécommunications d’Iran (CTI), rachetée par les Gardiens de la Révolution, se trouve de fait sous leur contrôle. Le Centre de surveillance des délits organisés, instauré par ces derniers, et son site officiel Gerdab, ont activement participé à la traque des net-citoyens en les identifiant et en les arrêtant. Le 20 mai 2010, Ebrahim Jabari, l’un des commandants des Gardiens de la Révolution, a confirmé officiellement la création d’une cyber-armée, responsable des actions de répression contre les réseaux qualifiés de "destructeurs", et de l’arrestation de centaines de net-citoyens. Vingt-et-un net-citoyens et vingt-neuf journalistes sont actuellement derrière les barreaux. Trois d’entre eux, Fatemeh Khardmand, Ehssan Hoshmand et Said Madani, ont été arrêtés, le 7 janvier 2012, à leurs domiciles de Téhéran par des hommes en civil. Le 8 janvier, le ministre des Renseignements, Heydar Moslehi, a confirmé les arrestations en déclarant que "les personnes arrêtées prévoyaient d’exécuter des projets américains pour perturber les élections parlementaires en utilisant le cyberespace et les réseaux sociaux". Des allégations mensongères rejetées par Reporters sans frontières, qui rappelle que ce régime accuse systématiquement et sans aucune preuve les voix dissidentes d’être des espions travaillant pour les Etats-Unis ou Israël. Saide Madani, sociologue et écrivain, auteur de dizaines d’articles dans les médias indépendants, a été une nouvelle fois arrêté, le 7 janvier 2012, et condamné à six ans de prison ferme. Ehssan Hoshmande, journaliste et sociologue spécialiste de l’histoire du peuple kurde, a lui aussi été arrêté à son domicile le 7 janvier dernier. Fatemeh Kherdmand, journaliste pour le mensuel Gozaresh sanat chap, a été arrêtée le 7 janvier dernier, par quatre hommes en civil. D’après son mari, le journaliste et blogueur Masoud Lavassani, libéré lui-même en juillet dernier après deux ans de détention, les agents du ministère des Renseignements, munis d’un mandat d’arrêt, ont expliqué qu’il lui était reproché d’ "être en contact avec les familles de prisonniers politiques". L’état de santé de Fatemeh Kherdmand est inquiétant. Leur fils de quatre ans, déjà perturbé par la longue incarcération de son père, est en état de choc. Mehdi Khazali, animateur du blog Baran, a été à nouveau arrêté le 9 janvier 2012. D’après sa femme, il a été blessé au cours de son interpellation, très violente. Mehdi Khazali est le fils de l’ayatollah Abolghasem Khazali, membre influent du Conseil des Gardiens de la Constitution iranienne depuis une trentaine d’années. Malgré ses déboires avec la justice, Khazali critique sévèrement, sur son site, la politique gouvernementale et dénonce les exactions du régime. Son blog a été piraté et n’est plus disponible. Pressions sur les proches Les autorités emploient des méthodes déloyales, n’hésitant pas à faire pression sur les proches ou à séparer des familles. Le 2 janvier 2012, Fatemeh Alvandi, la mère du journaliste emprisonné Mehdi Mahmudian, a été arrêtée et interrogée sur ordre du procureur de Téhéran, avant d’être libérée quelques heures plus tard. Son fils a été placé en isolement et, selon les informations dont nous disposons, il aurait été victime de mauvais traitements. Gravement malade, il a été hospitalisé à deux reprises en 2011, mais aussitôt transféré à la prison de Rajaishahr. Les autorités pénitentiaires ont systématiquement refusé toute demande de permission. Parvin Mokhtare, la mère du blogueur emprisonné Kouhyar Goudarzi, a été condamnée à vingt-trois mois de prison ferme par le tribunal de la révolution de la ville de Kerman. Elle avait été arrêtée, le 2 août 2011, par quatre individus en civil qui sont entrés de force dans son domicile et l’ont emmenée à la prison centrale de la ville Kerman. Son fils, Kouhyar Goudarzi, avait été arrêté le 1er aout, et détenu pendant plusieurs mois, sans que les responsables judiciaires ne donne aucune information sur le lieu de sa détention. Il est actuellement emprisonné dans les isolements 209 de la prison Evin. La collaboration d’entreprises occidentales La répression orchestrée par le régime de Téhéran s’appuie sur l’aide apportée par des sociétés étrangères, notamment occidentales. Malgré les sanctions adoptées par les instances européennes et américaines à l’encontre de l’Iran, Reporters sans frontières s’étonne que le régime puisse contourner ces mesures avec les sociétés "écran" qu’il a crées. Une révision des règles qui gouvernent l’exportation de matériels utilisés à des fins de censure et de surveillance s’impose. Les procédures de traçage du matériel et des logiciels concernés doivent être renforcées, afin d’éviter que des produits "interdits" ne se retrouvent entre les mains de dictateurs, via un pays tiers ou une société obscure. D’après l’agence Bloomberg, la société israélienne Allot, spécialisée en sécurité informatique, a vendu pendant des années des logiciels de surveillance et de géolocalisation des utilisateurs du net et de téléphones portables à une compagnie danoise, RanTek, qui les réexpédiait ensuite en Iran. Une société irlandaise, AdaptiveMobile Security, vient d’annoncer l’arrêt de la vente de ses systèmes de filtrage et de blocage des SMS au régime iranien. Reporters sans frontières soutient le Global Online Freedom Act (GOFA), une proposition de loi examinée au Congrès américain et qui interdit l’exportation de matériel de filtrage ou de surveillance vers des pays qui bafouent la liberté d’expression en ligne. Le Parlement européen a adopté en novembre 2011 une résolution en faveur d’un renforcement des règles d’exportation de ce type de matériel, une législation européenne similaire au GOFA devrait également voir le jour. Des sanctions financières doivent être imposées aux entreprises peu regardantes en matière de droits de l’homme. Des poursuites pour complicité peuvent être intentées contre ces entreprises qui ont fourni des outils technologiques utilisés à des fins de répression, auprès de la cour pénale internationale. Lire notre communiqué sur le marché mondial de la surveillance Un Internet national pour mieux contrôler le pays ? Selon les informations publiées par le quotidien américain The Wall Street Journal, l’Iran serait donc en train de préparer la mise en place d’un filtrage global des moyens de communication. Le pays s’apprêterait à lancer un Internet national coupé de l’Internet mondial. Ce projet, déjà évoqué par les autorités iraniennes, n’est pas nouveau. Depuis 2002, le pouvoir fait travailler ses techniciens sur un "Internet propre" mais le gouvernement d’Ahmadinejad a accéléré le processus. Reporters sans frontières s’interroge sur l’opportunité et la faisabilité d’un tel projet, notamment en raison de ses coûts de développement et de fonctionnement, mais aussi parce que l’Iran a besoin, pour ses transactions économiques et financières, de rester connecté avec l’Internet mondial. "Le régime s’oriente-t-il vers un Internet à deux vitesses, avec d’un côté un accès au World Wide Web pour le gouvernement, les leaders religieux, les Gardiens de la Révolution et les grandes entreprises, et de l’autre côté l’immense majorité de la population qui devrait se cantonner à un Intranet censuré ? Dans ce cas, les autorités se rendraient coupables de grave discrimination à l’encontre des Iraniens", a conclu l’organisation. Elections et délits d’Internet Le 28 décembre 2011, le jour de l’inscription des candidats aux élections législatives de mars 2012, Abdosamad Khoramabadi, le conseiller juridique du procureur général d'Iran, a annoncé dans un point de presse "une liste des 25 délits d’Internet en relation avec l’élection". Cette liste a été préparée par le groupe de travail constitué pour « déterminer les contenus conformes aux délits d’internet », conformément à la loi sur les "délits d’Internet". Ses treize membres représentent plusieurs branches du gouvernement et de l’appareil judiciaire : les ministères de l'Education, de la Communications et des Technologies de l'information, de la Culture et de l’Orientation islamique, des Renseignements, de la Justice, de la Science, Recherche et Technologie, Culture et de l'Orientation islamique, mais aussi l'Organisation de la propagation islamique, le directeur de la radio et télévision publique (IRIB), le chef de la police, un expert en technologie des communications et de l'information choisi par la Commission des Mines au Parlement et un parlementaire choisi par la commission juridique. Ce comité sera présidé par le procureur général. Les contenus considérés comme délits sont : les appels au boycott des élections, la publication des logos ou contenus de sites contre-révolutionnaires et d’opposition, etc. Le 3 janvier 2012, la police de l’internet Iranien a publié de nouvelles régulations pour les cybercafés. Les vingt articles en question obligent les clients à présenter une carte identité. Les gérants doivent installer des caméras dans les locaux, en conserver les enregistrements pendant six mois, tout comme les coordonnées complètes des usagers et la liste des sites visités. L’utilisation de logiciels pour contourner le filtrage ou de VPN est interdite, tout comme l’utilisation de clés USB. Le 1er janvier, dans la ville de Birjand (la province de Khorasan, au sud du pays), six cafés internet ont été fermés pour "non respect des mesures de sécurité et utilisation de logiciels de contournement de la censure". La police avait perquisitionné 43 établissements dans cette ville. Enfin, le 30 décembre 2011, le site Internet de l'ancien président iranien Akbar Hachemi Rafsandjani a été bloqué, une décision confirmée le 3 janvier par Gholam Hossein Ejehi, procureur général, qui l’a justifiée par la présence sur le site de "contenus interdits". Akbar Hachemi Rafsandjani avait proposé, dans son prêche de la prière du vendredi le 17 juillet 2009 à Téhéran, la libération des personnalités arrêtées et une liberté de presse et d'opinion pour les fidèles du régime, un mois après la répression des manifestations de l'opposition, afin de ramener le calme dans le pays. Ce discours figure toujours sur son site. L'Iran fait partie de la liste des "Ennemis d'Internet" établie par Reporters sans frontières, et se situe à la 172ème place sur 178 pays dans le classement mondial 2010 de la liberté de la presse.
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016