Nigeria : deux projets de lois dangereux pour la liberté de l’information discutés au Sénat
Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète des projets de lois pour lutter contre les discours de haine et la désinformation actuellement en discussion devant le Sénat du Nigeria. Dans leur version actuelle, ils prévoient des peines disproportionnées et pourraient constituer un dangereux outil contre la liberté d’information.
Si le projet de loi contre les discours de haine est adopté au Nigeria, un article jugé “menaçant”, “abusif”, “insultant” et ayant pour intention d’inciter à la haine pourrait valoir à son auteur la prison à vie ou la mort par pendaison en cas de décès résultant de sa diffusion. Le texte a déjà été adopté en première lecture au Sénat mais il est encore susceptible d’être amendé.
Le projet de loi sur les “fausses informations” et la “manipulation en ligne”, également à l’étude, contient aussi de nombreuses dispositions qui pourraient gravement menacer l’exercice du journalisme dans le pays. Il prévoit entre autre l’interdiction sous peine de prison de diffuser des déclarations “susceptibles de porter atteinte à la sécurité du Nigeria, à la sûreté et à la tranquillité publiques, aux finances publiques et aux relations amicales avec d’autres pays.”
“En l’état, ces textes contiennent des dispositions vagues et imprécises assorties de peines extrêmement sévères, contraires au droit international, et susceptibles d’être utilisées pour museler la presse, dénonce Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Ces nouvelles lois offriraient de nouvelles possibilités de poursuites contre les journalistes qui exerceraient leur pouvoir critique dans un pays où l’arsenal législatif existant est déjà très répressif et fréquemment utilisé pour étouffer la liberté d’expression.”
Ces projets de loi ont été fortement critiqués par la société civile nigériane et des dizaines de manifestants se sont rendus devant l'Assemblée nationale le 27 novembre dernier à Abuja, la capitale du pays, pour demander au Sénat d'abandonner le projet.
Le Code pénal, la loi antiterroriste et la loi sur la cybercriminalité adoptée en 2015 contiennent déjà tous des peines privatives de liberté et son régulièrement utilisés pour procéder à des arrestations arbitraires de journalistes dénonçant la corruption et la mauvaise gouvernance.
Agba Jalingo, directeur de publication du site CrossRiverWatch, arrêté le 22 août dernier, est poursuivi pour trouble à l’ordre public et trahison après avoir publié un article critiquant les pratiques du gouverneur de son état.
Sur le continent, plusieurs projets de lois visant à criminaliser les discours de haine et la désinformation ont été déposés ou adoptés ces derniers mois, notamment au Cameroun et en Ethiopie.
Le Nigeria occupe la 120e position sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2019.