Mexique : RSF se mobilise pour la protection des journalistes et contre l’impunité à l’occasion d’une mission pour la liberté de la presse

Le bureau Amérique latine de Reporters sans frontières (RSF), ainsi que des représentants de RSF Colombie et Allemagne, s’est rendue à Mexico pour une mission internationale afin de renforcer la lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes. La mission visait également à cerner les différents facteurs, souvent liés entre eux, à l’origine des désastreuses conditions de travail des journalistes dans le pays.

 

Il figure depuis trois ans en tête du triste palmarès : cette année encore, le Mexique est le pays le plus dangereux au monde pour les journalistes, avec au moins sept reporters assassinés en 2021. Lors de la mission internationale pour la liberté de la presse menée la première quinzaine de décembre dans le pays, la délégation RSF a rencontré des familles de journalistes assassinés ou disparus, les autorités mexicaines, des représentants des Nations unies et de l’Union européenne, ainsi que des reporters mexicains, des organisations de médias et des ONG partenaires.

 

Au cours de ces cinq dernières années, au moins 47 journalistes ont été tués au Mexique pour avoir exercé leur activité, dont 25 depuis l’entrée en fonction du président Andrés Manuel López Obrador, en décembre 2018. En 2021, ils étaient au moins 7, comme l’indique le Bilan annuel de RSF, publié le 16 décembre dernier : Benjamín Morales Hernández, Gustavo Sánchez Cabrera, Ricardo López Domínguez, Saúl Tijerina Rentería, Jacinto Romero Flores, Manuel González Reyes et Fredy López Arévalo. L’impunité, elle, est quasi totale : dans 95 à 99 % des meurtres de journalistes, le commanditaire n’est jamais inquiété et, ces dernières années, aucune affaire de disparition de journaliste n’a été résolue.

 

« L’Etat mexicain doit transformer les déclarations d’intention en décisions courageuses pour donner une réponse durable, capable de garantir un environnement sûr et décent aux travailleurs de l’information dans le pays, déclare le responsable du bureau Amérique latine de RSF, Emmanuel Colombié. RSF et ses partenaires travaillent sans relâche dans ce sens et espèrent, à travers les différents projets qui verront le jour au premier trimestre 2022, coopérer efficacement avec les autorités afin d’inverser cette spirale de violence et d’impunité. »

 

« Cela fait des années que le Mexique est le pays le plus dangereux pour les journalistes, insiste le directeur du bureau Allemagne de RSF, Christian Mihr. Ils sont assassinés ou disparaissent, simplement parce qu’ils ont fait leur travail. Nous n’accepterons pas que ces crimes restent quasiment tous impunis. Nous soutenons ces journalistes et leurs familles, nous sommes présents à leurs côtés au tribunal, nous leur apportons un soutien psychologique et notre attitude face aux autorités est claire : RSF continuera de se battre contre l’impunité. C’est pour cela que nous sommes venus au Mexique. »

 

« La mission de RSF au Mexique était très importante pour notre pays, souligne l’avocate spécialisée dans les droits humains et directrice de l’organisation partenaire de RSF Propuesta Cívica, Sara Mendiola. Lors de nos rencontres avec de hauts fonctionnaires responsables de la protection et de la sécurité des journalistes, nous leur avons demandé de se focaliser sur la violence dont les journalistes sont victimes au Mexique. Ils font partie intégrante de la solution pour sortir de cette crise. Afin d’être entendus, la présence de RSF, une ONG internationale très respectée ici, était primordiale. »

 

RSF a organisé des réunions avec des organisations de la société civile, des journalistes, des médias, ainsi que des autorités responsables de la protection et de la sécurité des journalistes. L’ONG a ainsi notamment rencontré le directeur du Mécanisme de protection fédérale, le parquet fédéral spécialisé dans les atteintes à la liberté d’expression (FEADLE), la Commission des droits humains du Sénat de la République, des représentant de l’Union européenne, le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), l’Unesco et la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH).

 

Lors d’une conférence de presse, le 8 décembre, et d’une table ronde avec la Commission des droits de l’homme du Sénat mexicain, le lendemain, RSF a présenté les premières conclusions de deux projets actuellement en cours au Mexique : « Bajo Riesgo » (« En péril » et « Defending Voices » (« Défendre les voix »).

 

Au même moment, le bureau régional de RSF pour l’Amérique latine, avec le soutien de l’Unesco, a lancé une initiative prévue pour mars 2022 visant à renforcer les mécanismes de protection des journalistes au Mexique, mais également au Brésil, en Colombie et au Honduras. Ces pays totalisent 80 % des meurtres de journalistes dans la région commis ces dix dernières années. A la suite de multiples consultations et entretiens avec des journalistes, ainsi que des représentants des mécanismes et d’organisations de la société civile, un rapport détaillé présentant un bilan et des recommandations pour chaque pays est en passe d’être finalisé, en vue d’une publication en février 2022. Pour l’organisation, ce rapport constitue un outil de coopération avec chaque gouvernement afin qu’ils puissent assumer leurs obligations concernant la protection des journalistes.

 

Au Mexique, RSF a observé un grave déficit d’effectifs au sein du mécanisme de protection des journalistes. Elle a fait apparaître une importante surcharge de travail, avec une cinquantaine de responsables pour 1 500 cas de personnes sous protection, dont 470 journalistes. L’absence d’un accompagnement adapté et les retards dans la mise en œuvre de mesures de protection coûtent bien souvent des vies. Mais le mécanisme ne peut être envisagé comme un rouage indépendant : il est essentiel que les institutions et les organismes d’Etat s’impliquent dans des politiques de protection publique, tout comme les décisionnaires locaux.

 

Lors de sa réunion avec le Mécanisme fédéral pour la protections des défenseurs des droits humains et des journalistes auprès du ministère de l’Intérieur (SEGOB), le 7 décembre, RSF a reçu des assurances d’améliorations pour l’année à venir : les budgets 2022 devraient être augmentés à 388 millions de pesos, tous les analystes seront certifiés et une campagne nationale de communication (déjà prévue en 2019) sera lancée pour sensibiliser le public. RSF tiendra le mécanisme responsable du respect de ses promesses.

 

L’autre projet, « Defending Voices », est présenté par RSF Allemagne en collaboration avec Propuesta Cívica et financé par le ministère allemand pour la Coopération et le développement économiques (BMZ). Il vise, en premier lieu, à changer les lois et les pratiques qui entravent la liberté de la presse et, ensuite, à s’assurer que justice soit rendue aux professionnels des médias victimes de crimes et à leurs familles.

 

Au cours de la mission, RSF et Propuesta Cívica ont présenté une première version de leur analyse des lois mexicaines (pénales, du travail, civiles et celles concernant la protection des journalistes) restreignant la liberté de la presse, entravant ou criminalisant le travail des journalistes aux niveaux fédéral et d’Etat - un travail qui servira de base à des propositions de réforme législative en vue d’améliorer la protection juridique des journalistes, qui seront présentées au Sénat en 2022.

 

La seconde partie de « Defending Voices » concerne la lutte contre l’impunité dans les cas de meurtres et de disparitions forcées de journalistes. Propuesta Cívica a rassemblé et synthétisé les informations sur 22 journalistes disparus au Mexique depuis 2006. Les cas de Mauricio Estrada Zamora, reporter pour le quotidien La Opinión de Apatzingán (disparu en 2008) et de Ramón Ángeles Zalpa, journaliste au Cambio de Michoacán et professeur d’université (disparu en 2010), tous deux de l’Etat du Michoacán, ont été pris en exemples en raison d’une absence évidente de volonté d’enquête de la part de la police et du ministère public. Des poursuites ont alors été engagées afin d'obtenir des recours juridiques au niveau national. Les organisations apportent un important soutien juridique aux familles et s’apprêtent à présenter les cas au Comité des droits de l'homme des Nations unies en 2022.

 

En outre, dans le cadre de leur mission, des représentants de RSF Allemagne et RSF Mexique ont rencontré des membres de la famille de Mauricio Estrada Zamora et de Ramón Ángeles Zalpa dans le Michoacán, début décembre.

 

La semaine suivante, des représentants de RSF ont rencontré la famille et l'avocat de Miguel Ángel López Velasco, également connu sous le nom de Milo Vela, à Veracruz, où ce journaliste de longue date du journal Notiver a été assassiné le 20 juin 2011. Cet acte a précédé une série de meurtres de journalistes dans l’État du même nom, sous la présidence de Javier Duarte. L'affaire n'a jamais été résolue, et aucun exécutant ni commanditaire n'a jamais été traduit en justice.

 

En partenariat avec Free Press Unlimited et le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), RSF a décidé de reprendre l’affaire Milo Vela pour la soumettre au Tribunal des peuples contre les assassinats de journalistes, que les trois ONG internationales ont mis sur pied en collaboration avec des organisations locales de défense de la liberté de la presse. Visant à tenir les États responsables des violations du droit international en sensibilisant le public et en produisant des preuves, ces tribunaux populaires jouent un rôle important dans l'autonomisation des victimes et la compilation de leurs récits. Le Tribunal populaire sur le meurtre de journalistes comprend cinq audiences, qui ont débuté le 2 novembre dernier et se termineront le 3 mai 2022. Il mettra en accusation les gouvernements du Sri Lanka, du Mexique et de la Syrie dans trois audiences distinctes pour manquement à la justice. L'audience sur le cas de Miguel Ángel López Velasco aura lieu à Mexico les 23 et 24 mars 2022.

 

Le Mexique occupe la 143e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.

Publié le
Updated on 23.12.2021