L’Iran veut contrôler toute l’information sur Internet en créant un “intranet halal” national
Reporters sans frontières (RSF) condamne une nouvelle fois le renforcement de la censure sur Internet et la répression des net-citoyens en Iran. Deux agences de presse et plusieurs sites d'information ont été bloqués le 4 septembre 2016, une semaine après l’annonce du lancement officiel du Réseau d'information nationale” (“Internet halal”). Ces dernières semaines, le Centre de surveillance des délits organisés (Gardiens de la Révolution) a annoncé la convocation et l’arrestation d’une centaine d’internautes.
Les agences de presse Mojnews et Bornanews et au moins deux autres sites d’information, puyesh et 9sobh, ont été bloqués sur ordre du Comité pour déterminer les contenus conformes aux délits d’internet, présidé par le procureur général, pour republication des documents publiés sur la vente par la mairie de Téhéran de terres et d’appartements de la ville à des fonctionnaires haut placés et des membres du conseil municipal ou pour avoir critiqué le système judiciaire sur son ambiguïté dans la lutte contre la corruption. Le 29 août 2016, le site d'information memarinews.com a été bloqué pour la publication de ces information.
Le 27 août 2016, plusieurs personnalités du gouvernement iranien ont officiellement célébré la première phase du “Réseau d'information nationale”, notamment le vice-président, le ministre de la Communication et de la Technologie d'information, le secrétaire général du Conseil suprême du cyberespace, etc. Sans préciser le fonctionnement et les conséquences qu’aura ce réseau pour les plus de 30 millions d’internautes iraniens (selon les chiffres officiels), les dignitaires se sont contentés de répéter les slogans habituels. «L’accessibilité aux informations va créer de nouvelles opportunités économiques, politiques et sociales, et contribuera au développement économique du pays», a déclaré Esshagh Jahangiri, premier vice-président, avant de préciser que plus de 20.000 milliards de toman (environ 58 millions d’euros) ont été investis dans ce “grand projet”. Mahmoud Vaezi, ministre de la Communication, a lui affirmé que «le Réseau d'information nationale n’impose aucune limite aux internautes».
Affirmation en contradiction avec le propos du vice-ministre Nasrolah Jahangard, qui a précisé: “Dans le Réseau, toutes les connexions, y compris mobiles, ont des identifications; si un internaute n'est pas identifié, il ne pourra pas bénéficier des services du réseau.”
A ces principes généraux relevant de la propagande, les autorités ajoutent des arguments protectionnistes: renforcer la sécurité contre les attaques des réseaux Internet, protéger les données sensibles du pays et les données personnelles des internautes, et enfin protéger “la morale” de la société. En fait, ce “Réseau d'information nationale” peut être assimilé à un grand intranet, donc les contenus sont contrôlés et où les internautes sont tous identifiés, et totalement coupé du web mondial quand le pouvoir le décide. Soit un “web propre” ou un “Internet halal”, instauré grâce au un “intelligent filtering”.
Sur cet intranet national, la vitesse et bande passante pourraient bien sûr être supérieures à celles actuellement disponibles pour les internautes, mais au final ce bienfait serait limité à la réception de davantage de propagande, et non au profit d’un information indépendante et de données libres.
RSF rappelle que début juillet 2011, Reza Taqipour Anvari, ministre de la Communication du gouvernement Ahmadinejad, avait annoncé le lancement de la première phase de “l’Internet national”. Lors de cette première phase, le ministre avait affirmé que les utilisateurs auraient accès d’abord à un haut débit de 8 Mo, puis de 20 Mo.
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Depuis un an, les différentes sections des Gardiens de la Révolution annoncent le démantèlement et l’arrestation systématique des réseaux actifs agissant “contre la sécurité morale de la société”, des “modeling criminals” (photos/vidéos de mannequins) ou encore ceux qui “insultent les croyances religieuses”. RSF a déjà recensé plus de 800 cas depuis le début 2016. Le “Centre de surveillance des délits organisés”, la bras cyber-armée des Gardiens de la Révolution sur Internet, a annoncé le 23 août “la convocation et l’arrestation de 450 responsables de pages de réseaux sociaux, notamment Telegram, Whatsapp et Instagram.”
“RSF ne conteste pas le droit de l’Iran de réprimer les crimes et délits commis en ligne; cependant, les définitions données de ces crimes dans la législation iranienne, ainsi que leur applications, ne sont pas conformes aux normes internationales, notamment à la Déclaration universelle des Droits de l’homme et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’Iran est pourtant signataire, déclare Reza Moini, responsable du bureau Iran/Afghanistan de Reporters sans frontières. Officiellement destinées à protéger la population contre des contenus immoraux, la censure et la répression se sont étendues aux informations politiques, traitant de religion ou encore aux sites consacrés aux droits fondamentaux et notamment ceux des femmes.”
Le cas du net-citoyen emprisonné Saeed Malekpour en est l’illustration. Ce concepteur de sites internet, résident permanent au Canada, a été condamné à mort en novembre 2010 pour création de sites “pornographiques” et “insulte aux principes sacrés de l’islam”. Saeed Malekpour avait créé un programme de téléchargement de photos, qui avait ensuite été utilisé, à son insu, pour diffuser des images pornographiques. Il avait été arrêté en 2008 alors qu’il rendait visite à sa famille en Iran.
Ces derrières mois, les débats au sommet du pouvoir sur l’“intelligent filtering” se sont intensifiés. Le camp conservateur, appuyés sur ses bras juridique (la justice) et militaire (les Gardiens de la révolution), fait pression sur le gouvernement de Hassan Rohani pour accroître le niveau de contrôle d’internet, et notamment pour filtrer Telegram, où sont présents plus de 15 millions d’utilisateurs en Iran (chiffre officiel). Malgré leur interdiction, les réseaux et applications tels que Telegram, Facebook ou Twitter jouent actuellement un rôle important dans la diffusion d'information dans le pays. Les ministres tout comme les conservateurs sont d'accord pour maintenir la pression sur Telegram, pour faciliter l’accès aux serveurs et appliquer l’“intelligent filtering”. Ce qui n’empêche pas le guide suprême Ali Khamenei d’avoir son propre compte Instagram “intelligemment filtré”.
L’Iran est classé 169e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2016 de Reporters sans frontières.