Lettre ouverte de Reporters sans frontières au Président de la République du Laos

Reporters sans frontières a écrit, le 23 juin 2006, à Choummaly Sayasone, nommé récemment chef du Parti populaire révolutionnaire lao et Président de la République, afin de lui faire part de ses inquiétudes concernant les graves problèmes liés à liberté de la presse au Laos et de l'encourager à mener une politique de réformes.

Monsieur Choummaly Sayasone

Président de la République

Vientiane

République démocratique populaire du Laos

Paris, le 23 juin 2006

Monsieur le Président,

Au lendemain de votre nomination à la tête du Parti populaire révolutionnaire lao (PPRL) et de l'Etat du Laos, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse, souhaite attirer votre attention sur de graves problèmes persistants au Laos concernant la liberté de la presse.

Nous vous encourageons notamment à mener une politique de réformes radicales qui permettront enfin l'émergence d'une presse indépendante et la protection des droits des journalistes.

Nous déplorons que les journalistes laotiens soient toujours des fonctionnaires du ministère de l'Information et la Culture. Selon nos informations, ils sont contraints à l'autocensure. Plusieurs fois par mois, les directeurs des médias et des cadres du ministère se réunissent pour commenter les articles parus et définir les sujets prioritaires. Les rédactions reprennent en intégralité les dépêches de l'agence de presse officielle Khaosan Pathet Lao (KPL) sur de nombreux sujets.

Bien que les hebdomadaires francophone Le Rénovateur et anglophone Vientiane Times se risquent parfois à réaliser certains reportages sur des problèmes socio-économiques, la majorité des médias diffusent uniquement des informations favorables au parti que vous dirigez. Pourtant, le journal du Parti, Paxaxon (Peuple), continue à se présenter comme une « publication révolutionnaire élaborée par le peuple et pour le peuple et qui rend service à l'action politique de la Révolution ».

Il nous semble regrettable que le ministère des Affaires étrangères ait également son mot à dire sur le contenu des médias. Il est ainsi interdit de critiquer les « pays amis », notamment le Viêt-nam et la Birmanie.

Nous vous prions également de bien vouloir engager une réforme du code pénal qui permet actuellement de condamner un journaliste à une lourde peine de prison pour la « diffusion d'informations qui affaiblissent l'Etat ». La loi prévoit également une peine d'un an de prison pour toute personne qui importerait dans le pays une "publication contraire à la culture nationale".

Nous souhaiterions, Monsieur le Président, que le projet de loi sur la presse, annoncé en 2001, soit amendé dans un sens plus libéral. D'après nos informations, il n'a toujours pas été discuté par le Parlement, bien qu'il ait été modifié à plusieurs reprises par le gouvernement et l'Association des journalistes. Ce projet de loi protège les sources des journalistes, définit les conditions pour obtenir une licence de publication et permettrait la création de médias privés. C'est encourageant, mais il nous semble urgent de donner un cadre protecteur pour le développement d'une presse privée et indépendante.

Les médias laotiens n'offrent qu'un discours de propagande, et de nombreux citoyens ont pris l'habitude de regarder les télévisions thaïes captées dans les zones frontalières, notamment dans la capitale.

Afin d'améliorer le pluralisme de l'information, nous vous demandons d'autoriser la diffusion à Vientiane et dans les grandes villes du pays des émissions en lao des stations internationales, Radio Free Asia et Radio France Internationale, par exemple.

Nous vous prions également de garantir un accès plus libre de votre pays aux reporters étrangers. Nous déplorons ainsi qu'en novembre 2004, à l'occasion du Sommet de l'ASEAN, Andrew Perrin, correspondant du magazine américain Time à Bangkok (Thaïlande), se soit vu refuser son visa d'entrée. Cette décision semblait liée à son enquête, réalisée deux mois auparavant, sur le viol et le meurtre de quatre adolescents Hmong par des soldats laotiens dans la zone militaire de Xaisomboune. Une vidéo amateur avait étayé l'information.

Nous avons recueilli de nombreux témoignages qui démontrent que la presse étrangère est empêchée de couvrir la situation de la minorité Hmong, et plus particulièrement des groupes isolés dans la jungle qui continuent de lutter contre le gouvernement de Vientiane. Selon Amnesty International, des dizaines de civils, essentiellement des enfants, sont morts depuis 2003, « par manque de nourriture ou à la suite de blessures infligées lors du conflit ». Plus généralement, nous vous incitons à trouver une solution humanitaire au problème des groupes Hmong encerclés par les forces de sécurité.

Par ailleurs, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir gracier les deux citoyens laotiens d'origine Hmong toujours emprisonnés à Vientiane pour avoir servi de guides, en 2003, au journaliste belge Thierry Falise et au cameraman français Vincent Reynaud. Le 30 juin 2003, Thao Moua et Pa Phue Khang avaient été condamnés pour « obstruction à la justice » et « possession d'armes », à la suite d'un procès jugé inéquitable par Amnesty International, à des peines de prison allant de 12 à 20 ans. Thierry Falise et Vincent Reynaud ont défendu leurs guides qui n'ont fait qu'essayer de « faire connaître la tragédie humanitaire que vit une partie du peuple Hmong ».

Enfin, nous vous appelons solennellement à gracier également Thongpaseuth Keuakoun, auteur de nombreux articles et pamphlets sur la situation du Laos et la nécessité de réformes démocratiques. Il était l'un des cinq leaders du mouvement démocratique d'octobre 1999. En mars 2003, on a appris qu'il avait été condamné, un an plus tôt, à vingt ans de prison pour "activités antigouvernementales". Avec ses compagnons, il est détenu au secret depuis son arrestation, il y a plus de six ans.

Nous espérons que votre arrivée au pouvoir permettra au Laos de s'engager dans la voie de la réforme et du respect de la liberté d'expression. Si tel n'était pas le cas, nous envisagerions la possibilité d'inscrire votre nom dans la liste des « Prédateurs de la liberté de la presse » qui recense les principaux chefs d'Etat et de groupes armés responsables de violations massives de la liberté de la presse. Votre prédécesseur, Khamtay Siphandone, faisait partie de cette liste.

Convaincu que vous tiendrez compte de nos requêtes, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma très haute considération.

Robert Ménard

Secrétaire général

Publié le
Mise à jour le 15.03.2016