Les médias accusés de couverture biaisée des conflits dans l'état d'Arakan

Les déclarations du ministre en chef de la région de Rangoon, Myint Swe, le 10 juin 2012, lors d’une conférence de presse, illustrent la fragilité de l’assouplissement des conditions de travail des journalistes birmans. Le ministre en chef, dont les propos ont été relayés par le journal Irrawaddy, a ouvertement menacé la profession de sanctions pénales en cas de couverture néfaste des affrontements qui agitent l’état d’Arakan, les accusant dans un second temps d’”attiser le conflit”. Le général Tint Swe, chef de la Division d’enregistrement et de vérification de la presse (Press Scrutiny and Registration Division, PSRD), a ordonné aux médias de soumettre leurs articles pour validation par le bureau, rétablissant de facto le système de censure préalable, mis en place par la junte. Les tensions dans l'Etat d'Arakan continuent de grimper après une nouvelle flambée de violence, le 10 juin, qui a fait cinq blessés en dépit d'une présence militaire et policière de plus en plus importante dans l'état. Elles ont été déclenchées par la découverte, le 29 mai 2012 dans le village de Maung Taw, du corps d’une fille arakanaise portant des signes de viol. “Les médias sont confrontés à un retour en arrière très inquiétant de la part du gouvernement, qui a pourtant annoncé, à travers les déclaration de Tint Swe, que la PSRD cesserait d’exister à la fin du mois. Les menaces pénales à l’encontre des journalistes et le rétablissement de la censure sont inacceptables”, ont déclaré Reporters sans frontières et son organisation partenaire, la Burma Media Association. “Les événements actuels sont la preuve que la liberté d’information est très loin d’être acquise. Depuis plusieurs mois, nous rappelons que ces libertés ne doivent pas seulement être considérées comme des conséquences de la démocratisation du pays mais bien comme les conditions sine qua non de celle-ci. Les conflits actuels le montrent. Il est urgent qu’un cadre légal et des mesures de protections soient adoptées. Le rôle des médias lors de crises de ce type est crucial. Si leurs devoirs et responsabilités méritent d'être rappelés, leurs droits d’informer librement et leur présence sur leur terrain ne doivent pas être entravés”, ont ajouté les deux organisations. “Des médias ont fait des efforts sérieux pour produire une couverture de qualité. Mais, en l’absence d’institutions capables d’impulser une réelle direction à l’ensemble des médias et de protection légale, et compte tenu de la diversité des moyens et de la relative inexpérience de certains médias ou journalistes, les rédactions ont la charge de rappeler les codes éthiques de la profession à leurs journalistes, et surtout d’assurer la protection des reporters qu’elles envoient couvrir les conflits.” Selon les déclarations de Myint Swe, les médias couvrant les événements “de manière dangereuse pour la stabilité de l’Etat” risquent de se voir sanctionnés en vertu de la section 5 de l’Emergency Provisions Act et de la section 505b du code pénal birman. La première section prévoit une peine de sept ans de prison ou une amende d’un montant non fixé pour des publications qui influenceraient le comportement des individus en mettant en danger la sécurité de l’État. La seconde, sanctionne d’une peine de deux ans d’emprisonnement tout acte visant à provoquer la peur et la panique dans la société civile, et pouvant inciter à des crimes contre l’État ou l’ordre public. Myint Swe, cité par Irrawaddy, a également accusé les journalistes d’attiser le conflit et les a exhorté à écrire en considération de leur responsabilité publique et non seulement de la concurrence avec les autres médias. Le New Light of Myanmar, journal contrôlé par l’État, appelle à baisser le ton et à agir avec tolérance. Dans ce climat de tensions sociales, le gouvernement a rétabli son contrôle strict de l’information. La censure préalable des publications a été restaurée par la PSRD. Les médias qui ne soumettront pas leurs articles avant publication seront passibles de sanctions, en vertu du Printers and Publishers Registration Act, établi en 1962 par l’ancien dictateur Ne Win.   Des modifications du cadre législatif régissant les médias ont été annoncées depuis longtemps par le gouvernement, mais n’ont toujours pas vu le jour. Elles incluent la création d’un Conseil de la presse, intégré au ministère de l’Information et censé remplacer le bureau de la censure (PSRD) de l’État . Toutefois, les directives annoncées par le ministre de l’Information et de la Culture Kyaw Hsan concernant le Conseil de la Presse, ont été critiquées par des journalistes. La première version de la nouvelle loi sur les médias se fondait encore sur la législation de 1962, prévoiyait des sanctions issues du code pénal et ne concernait que la presse écrite. La deuxième version est actuellement en cours de rédaction. Le média en exil, Democratic Voice of Burma, a récemment rappelé à ses reporters et journalistes dix recommandations qui, si elles sont suivies, participeront à garantir une couverture équilibrée des événements dans l’état d’Arakan: -*1. Les articles ne doivent pas attiser les tensions. -*2. Ne pas utiliser un langage marqué en termes raciales/religieux -*3. Au moins que ce soit nécessaire, ne pas mentionner l’appartenance religieuse/racial des individus -*4. Utiliser des guillemets pour les chefs religieux et les leaders de chaque faction -*5. Toujours utiliser plusieurs sources, une indépendante et d’autres provenant de deux factions -*6. Signaler clairement les informations non confirmées -*7. Les citations des autorités et des membres du gouvernement doivent être vérifiées auprès d’une autre source. Si cela n’est pas possible, il faut déclarer qu’il a été impossible de procéder à la vérification. -*8. Ne pas citer des déclarations extrémistes de type racial /religieux -*9. Être conscients de la possibilité de manipulation des médias de la part de groupes d’intérêt. -*10. Les reportages doivent être approuvés avant publication par les rédacteurs ou autres responsables en charge. La Birmanie se situe à la 169e place, sur 179 pays recensés, dans le classement mondial de la liberté de la presse 2011-2012 établi par Reporters sans frontières.
Publié le
Updated on 20.01.2016