Le meurtre de Rasim Aliev, produit d’une culture de l’intolérance et de l’impunité

Reporters sans frontières exhorte les autorités azerbaïdjanaises à faire toute la lumière sur l’assassinat du journaliste indépendant Rasim Aliev, décédé le 9 août 2015 des suites de la violente agression dont il avait été victime la veille.

Rasim Aliev est le quatrième journaliste assassiné en dix ans en Azerbaïdjan. Les enquêtes sur la mort d’Elmar Huseynov et d’Alim Kazimli, en 2005, et de Rafik Tagi, en 2011, n’ont pour l’heure produit aucun résultat crédible. “Le meurtre de Rasim Aliev est le produit d’une culture de l’intolérance et de l’impunité, instillée depuis des années au sommet de l’Etat, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de l’organisation. Quand les autorités désignent publiquement les journalistes critiques comme des ennemis et des traîtres, quand les agressions dont ils sont victimes restent systématiquement impunies, faut-il s’étonner que de tels drames se produisent?"

Guet-apens mortel

Roué de coups le 8 août en fin d’après-midi à Bakou, Rasim Aliev a été hospitalisé avec plusieurs côtes cassées et un défaut d’audition à l’oreille gauche. Avant de mourir le lendemain d’une hémorragie interne, le journaliste a eu le temps d’expliquer qu’il avait été victime d’un guet-apens organisé par un individu se présentant comme le cousin d’un célèbre joueur de football, Djavid Huseynov. Le 6 août, Rasim Aliev avait critiqué sur Facebook le comportement de ce joueur, qui avait répondu d’un geste insultant à un journaliste chypriote qui lui demandait pourquoi il avait arboré un drapeau turc sur le terrain. Deux jours plus tard, un homme se présentant comme le cousin de Djavid Huseynov a appelé le journaliste pour l’insulter et le menacer, avant de le rappeler en se faisant apaisant, insistant même pour que le journaliste vienne prendre le thé avec lui en signe de réconciliation. Le footballeur a lui-même appelé entre-temps, et les deux hommes se sont expliqués sur le ton d’une discussion normale. Mais à peine arrivé sur le lieu du rendez-vous, le journaliste a été violemment attaqué par cinq ou six individus, qui lui ont en outre volé son portefeuille et son téléphone portable. Le club Gabala, pour lequel joue Djavid Huseynov, est dirigé par Taleh Heydarov, fils du ministre azerbaïdjanais des Situations d’urgence. Le 9 août, le club a annoncé la suspension du footballeur jusqu’à ce que les événements soient clarifiés. Après avoir appelé les médias à s’en tenir aux annonces officielles et à ne pas “politiser” l’affaire, les autorités ont annoncé l’ouverture d’une enquête pour “coups et blessures intentionnelles ayant entraîné la mort” (article 126.3 du code pénal). Les médias azerbaïdjanais font état de l’arrestation d’au moins trois suspects, dont le cousin de Djavid Huseynov.

Des menaces récurrentes

Journaliste freelance, Rasim Aliev était connu pour ses reportages photo et vidéo sur des sujets politiques ou de société pour différents sites d’information azerbaïdjanais. Il faisait partie du bureau exécutif de l’Institute for Reporters’ Freedom and Safety (IRFS), association de défense des médias partenaire de Reporters sans frontières, fermée manu militari en août 2014. Le président de l’organisation, Emin Huseynov, ayant été contraint de se cacher pour échapper à l’incarcération, c’est lui qui avait été élu en octobre pour le remplacer. Le journaliste avait déjà fait l’objet de plusieurs menaces et agressions ces dernières années. D’après le médias indépendant Meydan TV, il avait appelé à l’aide ses contacts sur Facebook le 25 juillet : “chers amis, savez-vous où je dois porter plainte si je reçois des menaces et que je suis intimidé sur les réseaux sociaux?” Reporters sans frontières exhorte les autorités à envisager toutes les hypothèses et à ne pas se contenter de mettre en cause les exécutants de ce meurtre. Le chef de l’administration présidentielle Ali Hasanov, coutumier des menaces ouvertes à l’encontre des médias indépendants, a fait savoir ce 10 août que le président de la République considérait la liberté de la presse comme “une des priorités de l’État”. “Cette nouvelle proclamation démocratique pourrait prêter à rire si le sujet n’était pas aussi grave. S’il souhaite être pris au sérieux, que le chef de l’État mette un terme à la vague de répression sans précédent qui s’abat sur les médias et la société civile depuis plus d’un an”, réagit Johann Bihr. L’Azerbaïdjan occupe la 162e place sur 180 dans le Classement mondial 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. La quasi totalité des médias indépendants ont été réduits au silence et les ONG de défense de la liberté de la presse ont été fermées. Au moins huit journalistes et quatre blogueurs sont emprisonnés à ce jour pour avoir fait leur travail d’information, dont la célèbre journaliste d’investigation Khadija Ismaïlova, dont le procès se poursuit ce 10 août. Des dizaines de journalistes indépendants et de blogueurs critiques ont été contraints à l’exil ces derniers mois. (Photo: Camil Memmedov / Facebook)
Publié le
Updated on 20.01.2016

Europe - Asie centrale

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