Le journalisme économique en procès en Turquie

Six journalistes et trente-deux internautes risquent jusqu’à cinq ans de prison pour avoir couvert la crise financière turque. Reporters sans frontières (RSF), qui assistait à l’ouverture de leur procès ce 20 septembre, appelle la justice à les acquitter immédiatement et à cesser de criminaliser le journalisme économique.

Cinq ans de prison : c’est ce que risquent les reporters de l’agence économique Bloomberg, Kerim Karakaya et Fercan Yalınkılıç, accusés d’avoir cherché à “déstabiliser l’économie turque” pour une dépêche parue en août 2018. Quatre autres journalistes, Mustafa Sönmez, Merdan Yanardağ, Sedef Kabaş et Orhan Kalkan, ainsi que 32 internautes, sont logés à la même enseigne pour avoir commenté l’article en ligne. Leur procès s’est ouvert ce 20 septembre à Istanbul, en présence du représentant de RSF en Turquie, Erol Önderoğlu. Il reprendra le 17 janvier 2020.

“Ce procès absurde témoigne de la criminalisation du journalisme économique et envoie un signal désastreux aux investisseurs, déclare Erol Önderoğlu. On n’a jamais réglé un problème en tirant sur le messager. Restaurer l’état de droit favoriserait bien mieux la reprise économique que de désigner des boucs émissaires.”

La dépêche de Bloomberg rendait compte de la panique des banques face à l’effondrement de la livre turque, en août 2018. Ses auteurs et ceux qui l’ont commenté sur Twitter sont poursuivis sur le fondement de la loi sur le marché financier. Une procédure rare, qui illustre la persécution croissante des journalistes économiques.

Autre signe de cette tendance : le rédacteur en chef du quotidien de gauche Evrensel, Cem Şimşek, a été traîné en justice pour un billet qualifiant “d’anti-ouvrières” les mesures économiques du gouvernement lors de la crise financière. Poursuivi pour “insulte” au ministre des Finances Berat Albayrak, par ailleurs gendre du Président Erdoğan, il a finalement été acquitté le 12 septembre, mais son journal est condamné à une amende de 41 660 lires turques (soit 6 700 euros) pour avoir “déformé le titre” du droit de réponse du ministre.

Le journaliste économique Cengiz Erdinç a quant à lui été condamné, le 4 juillet, à dix mois de prison avec sursis et 16 660 livres turques d’amende (plus de 2 600 euros) pour “atteinte à la réputation” d’une banque publique. Dans un éditorial paru en mars 2018 dans le quotidien Yurt, il avait rapporté que l’agence new-yorkaise de la banque Ziraat avait dû mettre un terme à ses services aux particuliers suite à une enquête des autorités financières américaines.

La Turquie occupe la 157e place sur 180 pays au Classement mondial 2019 de la liberté de la presse établi par RSF. Sur fond de démantèlement de l’état de droit, la situation des médias est devenue particulièrement critique depuis la tentative de putsch de juillet 2016.

Publié le
Mise à jour le 23.09.2019