Le dossier d’instruction de Camille Lepage perdu à Bangui
Quatre ans après l’assassinat de la jeune photojournaliste Camille Lepage en République centrafricaine, d’importants dysfonctionnements entravent l’enquête.
Le 12 mai 2014, il y a quatre ans, Camille Lepage âgée de 26 ans était tuée par balle dans une embuscade dans la région de Bouar, à l'Ouest de la RCA, alors qu’elle effectuait un reportage accompagnée d’une milice anti-balaka. A ce jour, les assaillants n’ont toujours pas été identifiés. Cependant, pour le conseil de la famille Lepage, Maître Vincent Fillola, de retour d’une mission à Bangui, ”il est hors de question de clôturer le dossier tant que nous ne sommes pas certains que tout ce qu’il est possible de faire n’a pas été fait”.
D’après des informations recueillies par RSF, le conseil de la famille Lepage a rencontré un obstacle inattendu à Bangui: le dossier d’instruction sur l’affaire Camille Lepage a tout simplement disparu. L’instabilité politique qui perdure en Centrafrique et qui entraîne de nombreux changements de magistrats pourrait être à l’origine de la perte du dossier. Si les autorités judiciaires assurent tout mettre en œuvre pour le retrouver, l’absence du dossier d’instruction a contraint les magistrats à reporter le procès d’assises qui devait initialement se tenir au début de l’année 2018.
Plusieurs hypothèses ont par ailleurs été avancées concernant les circonstances de l’embuscade, des noms ont été donnés, cependant il n’y a toujours pas eu d’enquête sur les lieux du drame, ni aucune reconstitution, pourtant obligatoire en cas d’assassinat. Or, selon Maître Fillola, si le contexte sécuritaire rendait très difficile la réalisation d’une enquête de terrain il y a quatre ans, cette possibilité existe aujourd’hui: “Les enquêteurs comme les magistrats assurent que les conditions actuelles permettent de se rendre sur les lieux, avec l'appui de la Minusca et des services judiciaires français. Tous appellent même cette enquête de terrain de leurs voeux”.
“Nous comptons sur les autorités centrafricaines pour tout mettre en oeuvre et retrouver le dossier d’instruction sur le meurtre de Camille Lepage, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Alors que la situation sécuritaire le permet aujourd’hui, il est aussi incompréhensible que les enquêteurs n’aient toujours pas pu réaliser leur enquête sur le terrain et notamment procéder à une indispensable reconstitution des faits avec des moyens scientifiques. Il est plus que temps de boucler une enquête qui n’a que trop duré. Il en est de la crédibilité et de la responsabilité de la justice centrafricaine. Tout doit être fait pour ne pas laisser l’assassinat de Camille Lepage impuni.”
Informée de ces dysfonctionnements majeurs, la mère de Camille, Maryvonne Lepage, reste déterminée à aller jusqu’au bout : “A défaut de pouvoir mettre un nom sur la personne qui avait le doigt sur la gâchette, il est indispensable d’identifier au moins le groupe des assaillants”. Au-delà de la vérité sur la mort de sa fille, c’est aussi pour tous les autres journalistes et photoreporters tués ou disparus en mission que Maryvonne Lepage affirme continuer à se battre: “Si nous allons jusqu’au bout, cela peut aider d’autres familles à persévérer dans leur propre enquête, ou remettre à l’ordre du jour certains dossiers trop tôt oubliés.”
Le dossier de Camille Lepage n’est pas le seul en souffrance devant les tribunaux français. L’enquête sur l’assassinat dans le nord du Mali des journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, n’a toujours pas abouti. De même, la disparition en 2004 du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, au cours d’une enquête sur la filière cacao en Côte d’Ivoire, reste non élucidée plus de 14 ans après les faits.
Ces 15 dernières années, 1035 journalistes ont été tués dans l’exercice de leur fonction, dont 65 pour la seule année 2017, selon le dernier bilan RSF.