L’appel commun de Svetlana Alexievitch, Andreï Bastunets, Christophe Deloire pour défendre la liberté de la presse au Bélarus

Alors que les journalistes et les médias sont la cible d’une répression accrue au Bélarus, le quotidien "Le Monde" publie une tribune co-signée par l’écrivain et prix Nobel de Littérature Svetlana Alexievitch, le président de l’Association biélorusse des journalistes (BAJ) Andreï Bastunets, et le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) Christophe Deloire. Ensemble, ils lancent un appel à la solidarité de la communauté internationale.

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Le 11 septembre 1848, Victor Hugo prononce un discours à l’Assemblée nationale, à Paris. Lors d’un débat sur l’état de siège, il s’élève contre la suspension des journaux : “le principe de la liberté de la presse n'est pas moins essentiel, n'est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. Ce sont les deux côtés du même fait.” L’écrivain poursuit : “La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c'est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous.” Conclusion : “Attenter à l'une c'est attenter à l'autre.” 


Lorsque les peuples du monde revendiquent le respect de leurs droits de citoyens, ils revendiquent la sincérité de la représentation de la réalité en même temps que la sincérité des élections. Ils savent que la liberté de la presse est celle qui permet de vérifier l’existence de toutes les autres. Comme l’ont martelé des manifestants de Minsk : “Les journalistes ne sont pas des criminels”. Malheureusement, les autorités d’Alexandre Loukachenko tentent d’installer des décors Potemkine sur la réalité politique. 


Au Belarus, classé 153ème sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières (RSF), les chaînes de télévision étaient déjà sous le contrôle exclusif du régime. Les arrestations des journalistes non alignés et la censure des médias y sont des outils de répression usuels. Avec le mouvement de liberté récent, les autorités ont accru leur brutalité. Rafles massives, harcèlement, torture… Plus de 80 journalistes ont encore été la cible des autorités ces deux dernières semaines. 


Les médias étrangers se voient privés de leurs accréditations, et sont largement expulsés. Le pouvoir n’hésite pas à censurer des dizaines de sites d’information, quand il ne coupe pas totalement l’accès à Internet. Il empêche aussi l’impression et la distribution de journaux indépendants. Il voudrait instaurer un “vide informationnel”, intimer un grand silence à la place des manifestations et du débat. Nous ne voulons pas que revienne ce silence des dictatures que décrivait le grand reporter polonais Ryszard Kapuscinski, “ce silence qui est un signe de malheur, et souvent de crime”.


C’est pourquoi nous appelons l’Assemblée générale des Nations Unies à envoyer une mission d’observation afin de témoigner des exactions contre les journalistes. Nous appelons l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe à inscrire la liberté de la presse comme sujet prioritaire dans le cadre de sa proposition de médiation dans la crise. Nous appelons les pays de la Communauté des Etats Indépendants à conditionner l’accession du Bélarus à la présidence de l’organisation, prévue en 2021, à l’arrêt des violences contre les médias.


Enfin, nous appelons tous les Etats bien disposés à l’égard du Bélarus et de son peuple à faciliter l’accueil de tous les journalistes harcelés qui ne peuvent plus y travailler pour l’instant. Un jour, l’une d’entre nous, Svetlana Alexievitch, a dit : “la liberté, c’est un travail long et pénible”. Long ou pas, ce travail pénible suppose aujourd’hui la solidarité de la communauté internationale.


Publiée dans l’édition papier du 10 septembre du Monde, la tribune reste consultable en ligne.

Publié le
Updated on 18.09.2020