L’acharnement judiciaire contre les journalistes birmans s’intensifie dangereusement

Au lendemain d’une démonstration de force massive de l'armée birmane, dont le chef a promis d’“anéantir” toute forme d'opposition, Reporters sans frontières (RSF) dresse la longue liste des arrestations et condamnations de journalistes en seulement trois semaines, du 10 au 23 mars, et demande la libération inconditionnelle de tous ceux emprisonnés dans le pays.

La litanie des arrestations et des condamnations à la prison semble sans fin. Selon des informations vérifiées par RSF, le journaliste Nay Naw (aussi connu sous le nom Myo Naung Naung Zaw), rédacteur pour le Centre d’information karen (KIC) et pour Bloomberg Business, a été arrêté, le 28 mars, par la police de Myawaddy, une ville frontière du sud-est de la Birmanie, à la frontière thaïlandaise. 

 

Le même jour, c’est un tribunal de Hpakant, une localité de l’Etat Kachin, situé dans le nord du pays, qui a condamné à un an et demi de prison le journaliste indépendant Naung Yoe, initialement arrêté le 9 avril 2021. Dans les deux cas, les autorités policières et judiciaires ont invoqué l'article 505(A) du code pénal, un texte qui punit officiellement la publication de fausse information sur les représentants de l’armée. Avec plus de 60 professionnels des médias actuellement derrière les barreaux, la Birmanie est l’un des pires endroits au monde pour exercer la mission d’informer ses concitoyens. 

 

“Du nord au sud du pays, dans les villes comme dans les cantons ruraux, la machine répressive de l’armée birmane harcèle et pourchasse les journalistes, déclare Daniel Bastard, le directeur du bureau Asie-Pacifique de RSF. RSF appelle la communauté internationale à durcir les sanctions ciblées contre les dignitaires du régime, qui osent mettre en scène de façon éhontée l'implacable répression qu'ils exercent contre la société civile.”

 

 

 

“Jusqu’à la mort”  
   

Le 27 mars, devant 8.000 soldats réunis dans la capitale, Naypyidaw, le chef de la junte, le général Min Aung Hlaing, avait en effet appelé à “anéantir” toute forme d'opposition, “jusqu’à la mort”. Ce discours, prononcé durant un défilé militaire tenu à l’occasion de la journée nationale des forces armées, coïncide avec un nouveau durcissement, particulièrement inquiétant, de la répression contre la liberté de la presse. Retour sur trois semaines d’acharnement judiciaire contre les journalistes.

 

 

  • 23 mars : deux condamnations en moins de 12 heures 

Ye Yint Tun, reporter pour le site d’actualité Myanmar Than Taw Sint (ou Myanmar Herald), reçoit une sentence de deux ans de prison par un tribunal spécial de la ville de Pathein, dans le sud-ouest du pays. Il avait été arrêté le 28 février 2021 alors qu'il couvrait une manifestation.

 

Le même jour, Aung Zaw Zaw, qui contribuait comme monteur vidéo à l’agence Mandalay Free Press (MFP), est lui aussi condamné à deux ans de prison. Il a été arrêté dans la soirée du 16 janvier 2022 au domicile de son père à Tauk Ka Shat, un village du canton de Kantbalu, dans le nord de la Birmanie. Comme pour son confrère Ye Yint Tun, le tribunal a invoqué l'article 505 du code pénal pour le maintenir incarcéré.

 

 

  • 22 mars : le chef d’édition de Mizzima News restera derrière les barreaux

Après plus d’un an de détention, Than Htike Aung, ancien chef d’édition à Mizzima News, une agence historique du combat pour une presse libre en Birmanie, écope de deux ans de prison. Selon des informations recueillies par RSF, il ne compte pas faire appel de sa condamnation, de peur que celle-ci soit alourdie. Il a été transféré à la prison de Yamethin, à Mandalay, la grande ville du nord du pays, où il purgera le reste de sa peine.

 

 

  • 21 mars : deux ans de travaux forcés pour le fondateur de Kamayut Media 

Le journaliste Han Thar Nyein est condamné à deux ans de travaux forcés par un tribunal militaire au sein de la prison d’Insein, en banlieue de Rangoun, dans le sud du pays. Cofondateur de l’agence de presse Kamayut Media, il avait été arrêté en mars 2021, en même temps que son confrère de nationalité américaine Nathan Maung - qui a, pour sa part, trouvé refuge aux Etats-Unis après sa libération, le 14 juin 2021.

 

Contacté par RSF, ce dernier craint que Han Thar Nyein, condamné pour difffusion de “fausses informations”, ne soit par ailleurs inculpé pour violation de la loi sur les échanges électroniques, ce qui peut lui valoir quinze ans de prison, selon les termes de l'article 33(B). “Cela me rend très triste de savoir qu’il va devoir à nouveau comparaître avec des chaînes aux mains et aux pieds, comme un criminel”, confie Nathan Maung.

 

  • 15 mars : enlèvement du journaliste freelance Aung Win Htay

Alors que, à travers le pays, les reporters sont réduits à la clandestinité, le journaliste indépendant Aung Win Htay est enlevé par un escadron de militaires à Mong Ton, un canton rural de l'État Shan, à la frontière birmano-thaïlandaise. Quelques heures plus tard, il est formellement placé en détention provisoire par la police en vertu de la section 505(A) du code pénal, parce qu’il aurait tenu des propos critiques contre la junte sur Facebook.

 

Il avait, par le passé, travaillé pour la Democratic Voice of Burma (DVB), un média historique de la lutte pour une presse indépendante en Birmanie et lauréat, en 2007, du prix RSF pour la liberté de la presse.

 

  • 14 mars : condamnations confirmées en appel pour l’équipe de Kanbawza Tai News 

La rédactrice en chef de cette agence basée dans l’Etat Shan, dans le nord de la Birmanie, Nann Nann Tai, aussi connue sous le nom de Nann Nway Nway Hlaing, est condamnée en seconde instance à deux ans de prison, en compagnie d’une de ses reportrices, Nang Win Yi. Les deux journalistes avaient été arrêtées le 24 mars 2021 dans la capitale régionale, Taunggyi, et condamnées en première instance en décembre dernier, en vertu du sempiternel article 505 (A) du code pénal.

 

  • 11 mars : onze ans de réclusion pour un journaliste du Bago Weekly

Nyein Chan Wai, le correspondant du Bago Weekly dans la ville de Tharrawaddy, dans le sud du pays, se voit infligé une peine extrêmement lourde de huit ans et trois mois de prison pour avoir "incité au mécontentement contre le gouvernement”, selon les termes de l’article 124 du code pénal. Cette sentence s’ajoute aux trois ans de réclusion dont il avait écopé le 16 décembre dernier, au motif de l’article 505(A) de la loi criminelle. Il devra désormais passer plus de onze ans derrière les barreaux.

 

  • 10 mars :  un journaliste arrêté, gracié, libéré puis… ré-arrêté

Le reporter indépendant Soe Yarzar Tun, basé à Rangoun, est enlevé par des militaires, avant que des policiers finissent, au bout de six jours, par révéler à sa famille sa détention au poste de Hlegu Myoma.

 

C’est la seconde fois qu’il est arrêté. Il avait déjà passé quatre mois incarcéré dans la prison d’Insein : arrêté quelques semaines après le coup d’Etat de février 2021, il avait été libéré à l'issue d’une grâce le 30 juin dernier. Pour lui, comme pour de nombreux journalistes birmans, le cauchemar recommence.

 

La Birmanie se situe à la 140e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2021.

Publié le
Mise à jour le 07.04.2022