La protection des journalistes doit être un enjeu majeur pour le futur président du Mexique

Alors que les Mexicains sont convoqués aux urnes, le 1er juillet, pour élire leur nouveau président, Reporters sans frontières (RSF) appelle le prochain chef de l’Etat à se saisir de la question de la protection des journalistes, après le bilan calamiteux du président sortant en matière de liberté de la presse.

Président de la République, députés et sénateurs fédéraux, gouverneurs de neufs Etats : ce 1er juillet 2018, une large partie de la classe politique mexicaine pourrait être renouvelée. Le président sortant Enrique Peña Nieto (2012-2018) quitte le pouvoir sans avoir pu enrayer la corruption et la violence qui gangrènent le pays. Pendant son mandat, entaché d’au moins 39 assassinats et plus de 1000 agressions de journalistes - un record dans l’histoire du pays -, la liberté de la presse n’a cessé de se dégrader. 


Avec déjà cinq journalistes assassinés en 2018, et 11 en 2017, le Mexique est, pour la seconde année consécutive, le 2ème pays le plus meurtrier du monde pour la presse, juste derrière la Syrie (12 morts en 2017) et l’Afghanistan (11 morts en 2018), des pays officiellement en guerre. Un constat d’échec qui place sur les épaules du futur président et de son équipe gouvernementale une lourde responsabilité.

 

La liberté de la presse absente des débats pendant la campagne

 

La thématique des droits de l’Homme, et plus particulièrement de la liberté d’information, n’a été que brièvement abordée par les partis politiques engagées dans l’élection lors des débats publics. Pire, les programmes des principaux candidats ne prévoient aucune mesure concrète pour s’attaquer durablement à ce chantier, pourtant fondamental. Pourtant certains des candidats s’étaient engagés auprès de RSF à faire de la liberté et de la sécurité de la presse une priorité.

 

Le 25 mars 2018, Ricardo Anaya (coalition Mexico al frente) recevait des mains de la délégation régionale de RSF une série de recommandations, parmi lesquelles la mise en place de nouveaux protocoles d'investigation pour les crimes commis contre les journalistes ou encore le renforcement du mécanisme de protection en y intégrant la dimension psychologique des victimes et en permettant un suivi plus régulier et efficace des mesures de protection octroyées. Le 28 mai 2018, avec ses partenaires du CPJ et Article 19 Mexique, RSF faisait part de ses préoccupations à l’équipe de campagne d’Andrés Manuel López Obrador (coalition Juntos Haremos Historia) et partageait ces mêmes recommandations. Aucune d’entre elles n’a été mise en avant à l’occasion de la campagne.

 

RSF déplore le manque de volonté politique des candidats à la présidentielle qui, malgré des déclarations de bonnes intentions, n’ont pris aucun engagement concret pour lutter efficacement contre la spirale de violence et l’impunité des crimes commis contre la profession, déclare Emmanuel Colombié, directeur du bureau Amérique latine pour RSF. Les candidats savent pourtant l’urgence qu’il y a à mettre en place une politique complète et efficace de protection des journalistes et de prévention des risques, comme le recommande RSF. Le futur président du Mexique aura cette lourde responsabilité et devra faire de ce thème un axe majeur et fort de sa politique pour pouvoir inverser cette tendance meurtrière.”

 

Ce besoin de réforme est en effet urgent. Hors périodes électorales, les agressions de journalistes sont quotidiennes au Mexique. Couvrir, notamment au niveau local, les sujets liés au crime organisé et à la corruption s’avère toujours plus dangereux.

 

Faire reculer la violence et l’impunité : les recommandations de RSF

 

Le futur président du Mexique doit renforcer en premier lieu le mécanisme fédéral de protection, dont les moyens sont encore largement insuffisants. Ce mécanisme doit notamment intégrer des dispositifs adaptés pour les cas les plus urgents, les attaques en ligne et les journalistes victimes de déplacement forcé, améliorer l’évaluation des risques et le suivi des mesures octroyées, mieux communiquer sur ses résultats ou encore améliorer sa coordination avec la Commission d’attention aux victimes (CEAV).

 

Le combat contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes qui représente, depuis 2000, 90 % des cas, selon les chiffres de la Commission nationale des droits de l’Homme du Mexique (CNDH), doit également être une priorité du futur gouvernement. Les enquêtes judiciaires, au niveau fédéral comme local, ne parviennent que trop rarement à identifier les responsables intellectuels de ces crimes, générant un cercle vicieux et une défiance généralisée de la profession envers les pouvoirs publics. Pour y parvenir, la FEADLE, le parquet spécial en charge des enquêtes sur les crimes commis contre la liberté d’expression, doit bénéficier de ressources humaines et financières supplémentaires pour améliorer ses protocoles d’investigation et augmenter le taux de résolution des enquêtes.

 

Des priorités partagées par les Rapporteurs spéciaux pour la liberté d’expression des Nations unies (ONU) et de l’Organisation des Etats américains (OEA-CIDH), David Kaye et Edison Lanza qui, le 11 juin dernier, rendaient public un rapport détaillé sur ‘la liberté d’opinion et d’expression’ au Mexique, pointant une impunité “toujours aussi généralisée” et “des mécanismes de protection largement inefficaces pour prévenir ces attaques”. Ce rapport est le fruit d’une visite des rapporteurs réalisée entre le 27 novembre et le 2 décembre 2017 pendant laquelle RSF a pu attirer l’attention sur le phénomène des journalistes victimes de déplacement forcé, autre tendance lourde dans le pays et dont la future équipe gouvernementale devra également se préoccuper .

 

Le Mexique se situe à la 147e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2018.

 

Publié le
Mise à jour le 28.06.2018