La pression s’accentue sur les médias au lendemain de la réélection de Bouteflika

Nous sommes très inquiets des pressions directes et indirectes exercées à l’encontre de certains médias algériens, notamment la presse indépendante, depuis la réélection pour un quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika le 17 avril 2014, déclare Reporters sans frontières. Les autorités algériennes ne reculent devant rien pour intimider les médias osant critiquer la mascarade électorale que fut le dernier scrutin présidentiel”. “On est loin, très loin de la profession de foi du président Bouteflika qui avait, à l’occasion de la Journée mondiale de la presse, réaffirmé son souci de «veiller à garantir l’exercice de la liberté d’expression et de presse loin de toute pression, en dehors de toute tutelle et de toute restriction, si ce n’est celle de la conscience professionnelle ou celle expressément prévue par la loi». Entre la belle parole et l’acte, le décalage n’a pas de limite”, écrit Abderezak Merad dans sa chronique hebdomadaire “Vu à la télé” parue jeudi 12 juin 2014 dans El-Watan. Dans cette chronique, intitulée “Le temps des représailles”, Abderezak Merad lance un cri d’alarme. “Des jours plus sombres attendent la presse indépendante (...). La dernière campagne électorale pour le candidat malade a été l’occasion de durcir encore le ton envers cette presse qui refuse de s’incliner. Les menaces sont devenues plus précises, plus directes. (...) Dans le lot de tous ceux qui étaient visés pour avoir montré leur opposition à cette quatrième mandature, et qui donc devraient s’attendre à ce que la foudre leur tombe sur la tête, il y a la presse indépendante considérée par les «nouveaux maîtres du pays» comme l’adversaire le plus redoutable en raison de l’influence qu’elle a sur l’opinion publique. Il y a ainsi accélération, ces derniers temps, du processus de mise hors d’état de nuire de ces médias à travers un plan de nuisance et d’affaiblissement qui se met petit à petit en place pour devenir progressivement opérationnel. Dans les rédactions, on sent en tous cas la tempête venir. Tout laisse croire que ce plan est pensé au plus haut niveau de la décision, autrement dit au niveau du cercle très fermé de la présidence, qui lui seul adopte les stratégies de déstabilisation avant de les mettre à exécution. (...) L’essentiel étant d’épurer le champ médiatique de toutes ses mauvaises herbes." Ouverte au pluralisme depuis les années 90, la presse algérienne souffre toujours de pratiques monopolistiques, notamment en matière d’impression ou de distribution. La plupart des publications sont tributaires des imprimeries (Société d’impression d’Alger, SIA) et des réseaux de diffusion contrôlés par l’État. Ce dernier agit en toute liberté, décidant arbitrairement de l’impression et des diffusions des publications. A ce titre, depuis le 2 juin 2014, la SIA a cessé d’imprimer le quotidien arabophone El Fajr justifiant sa décision par le montant de la dette du journal qui s’élèverait à 55 millions de dinars algériens (environ 510 000 euros). Argument réfuté par la directrice de publication, Hadda Hazem. Interrogée par Reporters sans frontières, cette dernière explique qu’en septembre 2013, la direction du journal et la SIA s’étaient entendues sur un échéancier afin d’épurer cette dette. Hadda Hazem affirme qu’El Fajr a depuis respecté ses engagements financiers, en remboursant tous les mois la somme fixée. “Le 19 mai dernier, on reçoit, par huissier, une demande de rembourser l’intégralité de la dette, sinon, la SIA se réservait le droit d’arrêter l’impression du journal. On a essayé de les contacter à maintes reprises, en vain. On a alors appelé le ministère de la Communication pour leur expliquer le problème. Mais le 2 juin, la SIA a interrompu l’impression du titre.” Pour la directrice de publication, cette décision est en réalité une sanction, voire des représailles, suite à ses prises de position contre le quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika : “Seul El Fajr est frappé par cette mesure, alors que plusieurs journaux ont des dettes auprès de la SIA. Cette mesure est plus politique que commerciale”. La publicité est également utilisée à des fins de pression contre les médias. L’Agence nationale de l’édition et de la publicité (Anep) décide, depuis sa création en 1967, de l’attribution de la publicité des entreprises et des services de l’administration publique. La publicité publique constitue ainsi une ressource financière non négligeable pour la presse écrite. Le renouvellement de ces encarts n’est pas sans condition. L’attribution de cette publicité publique constitue une véritable épée de Damoclès financière pour l’immense majorité des journaux algériens. Le 14 avril 2014, et ce quelques jours seulement avant la tenue du scrutin présidentiel, Algérie News et El-Djazair News se sont vus privés de cette importante ressource. Le directeur de ces deux quotidiens nationaux, H’mida Ayachi, voit en cette asphyxie financière une sanction infligée suite à son opposition publique au quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Le quotidien El-Watan est également “dans l’oeil du cyclone”, pour reprendre l’expression d’Abdelrazak Merad. “Il est soumis ces jours-ci à une forte pression de l’administration fiscale, alors que ses comptes sont contrôlés à la loupe par les instances compétentes, et aussi à celle moins visible qui veut l’étouffer en agissant sur les annonceurs publicitaires privés. (...) Mais il ne faut pas s’y méprendre, notre journal n’est pas le seul à subir ces épreuves de force visant à détruire la presse indépendante. Les télés privées qui ne marchent pas totalement dans les sillons tracés par le clan Bouteflika risquent d’avoir de grosses surprises”, comme l’avait dénoncé Reporters sans frontières avec la fermeture de la chaîne Atlas TV en mars 2014. Le 5 juin dernier, RSF a adressé un courrier à Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, à la veille de son déplacement à Alger les 8 et 9 juin, afin de lui faire part de ses préoccupations concernant la situation de la liberté de l’information dans le pays.
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Updated on 20.01.2016