La Chine reste la plus grande prison du monde pour les journalistes et net-citoyens
Vingt-huit ans après la sanglante répression de la place Tian’anmen, le 4 juin 1989, la Chine détient dans ses geôles plus de 100 journalistes et net-citoyens, dont un prix Nobel de la paix et trois lauréats du prix Reporters sans frontières-TV5 Monde.
La célèbre vidéo de Tank Man, "l’homme aux Tanks”, a déjà vingt-huit ans, mais ce n’est pas encore cette année que les télévisions chinoises diffuseront cette icône du “printemps chinois”. Près de trois décennies après la sanglante répression des manifestations de la place Tian’anmen, le 4 juin 1989, qui fit sans doute plus de mille morts, le pouvoir chinois poursuit une lutte sans merci contre la liberté d’expression et d’information.
Plus de 100 journalistes, blogueurs et journalistes-citoyens sont actuellement emprisonnés en Chine, dont le prix Nobel de la paix Liu Xiaobo et trois lauréats du prix Reporters sans frontières-TV5 Monde: Huang Qi, Lu Yuyu et Li Tingyu. Dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2017 établi par Reporters sans frontières (RSF), la Chine se positionne 176e sur 180 pays, seulement surpassée dans l’autoritarisme par le Turkménistan, l'Érythrée et la Corée du Nord.
Liu Xiaobo, le Nobel de la paix sous les verrous
Figure emblématique des manifestations de Tian’anmen, durant lesquelles il fit une grève de la faim, l’écrivain et militant des droits de l’homme chinois Liu Xiaobo est le seul prix Nobel de la paix emprisonné dans le monde. Depuis 2009, dans l’indifférence de la communauté internationale, il purge une peine de 11 ans pour avoir exprimé sur Internet son désir de démocratie au travers d’un document appelé la “Charte 08”.
Liu Xiaobo avait déjà effectué par le passé plus d’un an et demi de détention et trois années de travaux forcés. Son épouse, Liu Xia, est pour sa part assignée à résidence depuis octobre 2010 et subit une pression constante de la part des autorités, et ce alors qu’elle ne fait l’objet d’aucune condamnation judiciaire.
“La Constitution de la République Populaire de Chine garantit pourtant expressément que les citoyens disposent de la liberté de parole et de presse, que tout citoyen a le droit de critiquer des officiels du Parti ou de révéler leurs méfaits et que personne n'a le droit de supprimer de telles informations, explique Cédric Alviani, directeur du bureau RSF Asie de l’Est ouvert récemment à Taipei, rappelant que “l’association exige la libération immédiate de tous les journalistes, blogueurs et net-citoyens emprisonnés, et demande à la communauté internationale de maintenir sa pression sur Pékin.”
Huang Qi et de Liu Feiyue, deux fondateurs de sites d’information sous les verrous
Huang Qi, créateur de 64tianwang, premier site chinois documentant les violations des droits de l’homme en Chine (le chiffre 64 est une référence à la date du 4 juin), est aussi maintenu sous les verrous depuis l’automne dernier. Huang Qi, qui est aussi lauréat 2004 RSF dans la catégorie "Cyberdissident", avait déjà effectué de lourdes peines de prison de 2000 à 2005 et de 2009 à 2012, pour des publications liées à la répression de la place Tian’anmen.
Huang Qi a été enlevé par la police en octobre 2016, en même temps que Liu Feiyue, fondateur du site Civil Rights and Livelihood Watch.
Quelques semaines plus tôt, en marge du G20 qui se tenait en Chine, cinq collaboratrices du site 64tianwang ont aussi été enlevées par la police chinoise. Et, en avril de la même année, une autre contributrice du site, la journaliste indépendante Wang Jing, a été condamnée à quatre ans et dix mois de prison pour avoir "provoqué des querelles et des troubles".
Gao Yu, correspondante de Deutsche Welle empêchée d’être soignée à l’étranger
La célèbre journaliste Gao Yu, 73 ans, correspondante de la Deutsche Welle, Plume d'or de la liberté 1995 et lauréate du Prix mondial de la liberté de la presse de Unesco/Guillermo Cano 1997, est pour sa part toujours maintenue en résidence surveillée. Gao Yu avait été arrêtée en avril 2014 pour avoir envoyé des documents soi-disant confidentiels à un média étranger. La journaliste était réapparue deux semaines plus tard à la télévision chinoise d’Etat, China Central Television (CCTV), en train de "confesser ses crimes" à un policier, une pratique qui rappelle la Chine de Mao Zedong.
Lors de son procès en novembre 2014, qui lui a valu une peine de cinq ans d’emprisonnement, Gao Yu avait révélé avoir cédé sous le poids des menaces de représailles contre son fils. Souffrant de problèmes de santé sérieux, Gao Yu a été autorisée à purger sa peine hors de prison, mais pas à se faire soigner à l’étranger. Elle et ses proches restent sous la pression constante des autorités.
Les blogueurs de plus en plus visés
Depuis l'arrivée au pouvoir du président Xi Jinping, fin 2012, la Chine connaît une détérioration sensible des libertés, qui a valu au dirigeant le qualificatif peu enviable de “prédateur de l’Information” et d'”ennemi de l’Internet”. Les journalistes professionnels sont désormais officiellement sommés de “guider l’opinion publique” en suivant la "ligne officielle du parti”, ce qui par contraste a renforcé l’importance des blogueurs et net-citoyens… et la répression à leur encontre.
Le blogueur Hu Jia, prix Sakharov 2008, a fait les frais de ce climat répressif. Déjà emprisonné entre 2007 et 2011, Hu Jia a été violemment agressé par des inconnus alors qu’il rentrait chez lui, le 16 juillet 2014, et ce en dépit d’une surveillance policière constante. Hu Jia estimait à l’époque qu’une campagne en ligne lancée pour la commémoration du 4 juin serait la cause de cette attaque. Le blogueur, dont la santé s’est gravement détérioré en prison, souffre d’une cirrhose du foie et est actuellement hospitalisé à Pékin dans un état critique.
Nouvelle réglementation pour museler le “journalisme citoyen”
Autre exemple de répression envers les blogueurs, les journalistes-citoyens Lu Yuyu et Li Tingyu, enlevés par la police en juin 2016 alors qu’ils documentaient des manifestations ouvrières. Dernier cas en date, le blogueur Wu Bin, connu pour ses commentaires sur Twitter, a été arrêté le 27 avril dernier à Shenzhen (sud de la Chine), après des années de harcèlement de la part des autorités.
Et la situation ne semble pas devoir s’améliorer. Le 1er juin est entrée en vigueur une nouvelle réglementation qui menace l’existence même de “journalistes citoyens” en imposant l’enregistrement préalable de tout service distribuant de l’information en ligne. La nouvelle réglementation, qui pourrait en théorie s’appliquer à n’importe quel commentaire ou vidéo postés publiquement, vise à intimider les net-citoyens chinois et risque de les pousser à davantage d'auto-censure.