Inquiétudes de RSF et du JFO sur l’inquiétante dégradation de la liberté de l’information en Irak

Reporters sans frontières et son organisation partenaire en Irak, le Journalistic Freedoms Observatory (JFO) ont adressé, le 15 février 2014, une lettre au Président du Conseil suprême de la magistrature, au Président de la Cour d’appel de Baghdad ainsi qu’au Président de la Chambre spécialisée pour les affaires de presse et de publication afin de leur faire part de leurs inquiétudes relatives aux menaces qui pèsent sur la liberté de l’information en Irak. Outre le climat sécuritaire qui s’est dégradé de façon alarmante au cours des derniers mois, les acteurs de l’information en Irak doivent désormais faire face à de nouveaux obstacles tels que des arrestations et des poursuites judiciaires pour des motifs fallacieux.



Monsieur Midhat Al-Mahmoud, Président du Conseil suprême de la magistrature
Monsieur Mohsen Ali Al-Khazraji, Président de la Cour d’Appel de Bagdad
Monsieur Mahdi Aboud Hadi, Président de la chambre spécialisée pour les affaires de presse et de publication



Paris, Bagdad, le 15 février 2014


Messieurs les magistrats,
Reporters sans frontières (RSF), organisation internationale de défense de la liberté de l’information, et son organisation partenaire en Irak, le Journalistic Freedoms Observatory (JFO) souhaitent vous faire part de leurs inquiétudes relatives aux menaces qui pèsent sur la liberté de l’information en Irak. Outre le climat sécuritaire qui s’est dégradé de façon alarmante au cours des derniers mois, les acteurs de l’information en Irak doivent désormais faire face à de nouveaux obstacles tels que des arrestations et des poursuites judiciaires pour des motifs fallacieux. L’une de nos principales préoccupations réside dans l’utilisation des lois héritées de l’ancien régime pour sanctionner les délits en matière de presse et de publication. Ainsi, c’est en application de ces lois qu’un mandat d’arrêt a été émis contre le journaliste Sarmad Al-Ta’i pour la simple publication d’informations et de ses opinions. Cette arrestation, première du genre depuis la chute du régime de Saddam Hussein, constitue un précédent extrêmement dangereux pour la liberté de l’information en Irak. Aussi, en tant que membres éminents du Conseil suprême de la magistrature, nous vous exhortons d’abroger certaines dispositions législatives adoptées sous le précédent régime, toujours en vigueur malgré leur caractère liberticide. Sont notamment concernés les articles n°82, 83, 84, 201, 202, 210, 211, 215, 225, 226, 227, 229, 403, 433 et 434 du code pénal n°111 de 1969, qui sanctionnent sévèrement les délits de presse et de publication. Ces dispositions représentent une réelle menace pour la liberté d’expression et la liberté de la presse en Irak. Il vous incombe également de veiller à la conformité des lois présentes et futures avec les engagements internationaux de l’Irak en matière de liberté d’expression et liberté de l’information, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques que les autorités irakiennes ont signé en 1969 et ratifié en 1971. Par ailleurs, au cours des derniers mois, de nombreux responsables administratifs et politiques n’ont pas hésité à saisir de manière abusive la justice afin d’empêcher les journalistes et les médias de mener à bien leur mission de diffusion de l’information. Plusieurs journalistes ont ainsi fait l’objet de poursuites judiciaires pour le simple fait d’avoir dénoncé la corruption et les abus de pouvoir de certains dirigeants. RSF et le JFO demandent l’abandon de toutes les poursuites judiciaires engagées contre les professionnels de l’information. Autre source de préoccupation : la dégradation du climat sécuritaire pour les journalistes. Depuis 2003, les journalistes irakiens ont payé un lourd tribut dans leur combat pour le droit d’informer. Nombreux ont été la cible d’attaques sanglantes. Ils continuent à être visés. Depuis le début de l’intervention américaine en 2003, le JFO a recensé 274 cas d’acteurs de l’information ayant trouvé la mort, dont 164 dans l’exercice de leurs fonctions. Et ce dans l’impunité la plus totale. Pas moins de 11 journalistes ont été assassinés au cours des quatre derniers mois. Nous exhortons les autorités compétentes à prendre les mesures adéquates pour assurer la sécurité des journalistes et à mener systématiquement des enquêtes indépendantes et impartiales aboutissant à la traduction en justice des auteurs et commanditaires des crimes commis à l’encontre des acteurs de l’information, sans instrumentalisation du système judiciaire par le pouvoir. L’impunité n’a pas sa place dans l’Irak d’aujourd’hui. Nous vous remercie sincèrement de l’attention que vous porterez à cette lettre, et vous prions d’agréer, Messieurs les magistrats, l’expression de notre haute considération.

Ziad Al-Ajili
Président du Journalistic Freedoms Observatory

Christophe Deloire
Secrétaire général de Reporters sans frontières
Publié le
Updated on 20.01.2016