Hong Kong: 20 ans après la rétrocession, la liberté d’information en chute libre
Une génération après la rétrocession de Hong Kong à la Chine, la liberté d’information est au plus bas dans l’ancienne colonie britannique. Si les violences physiques contre les journalistes ont diminué, la mise au pas des médias se poursuit malgré la naissance de quelques titres en ligne, indépendants mais fragiles.
Vingt-six journalistes représentant 10 médias hongkongais n’auront pas d’accréditation pour couvrir ces événements, tout comme ils avaient été exclus de la couverture des élections du chef de l’exécutif en mars dernier. La raison? L’administration ne reconnaît pas les médias diffusés uniquement sur internet. Voilà pourtant cinq ans que l’Association des journalistes hongkongais (HKJA) réclame à corps et à cri l’égalité de traitement, mais la demande est curieusement toujours “en cours d’examen”.
Quant aux journalistes qui ont la chance d’avoir une accréditation, le message reçu est clair : le document précise que leurs informations personnelles pourront être transmises à la police et aux autres services en charge de la sécurité.
La presse grand public sous contrôle
Dans le Hong Kong de 2017, ces deux faits ne sont pas anodins. En 20 ans d’administration pro-chinoise, l’ancienne colonie britannique s’est vue rogner une part sensible de ses libertés, en théorie garanties par son statut de région administrative spéciale. Dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF), Hong Kong a fait un plongeon vertigineux : de 18e à la création du classement en 2002, elle se retrouve cette année au... 73ème rang. Amnesty International déplore aussi la pire situation depuis 20 ans en matière de droits de l'homme. Une liberté d’expression et d’information “avec des caractéristiques chinoises”, pour paraphraser la novlangue de Pékin, que les Hongkongais ont bien du mal à digérer.
En effet, que peuvent-ils attendre des médias traditionnels ? Plus de la moitié des patrons de presse, qui ont pour la plupart des intérêts économiques importants en Chine, sont membres d’organes politiques tels que le Congrès national du peuple et la Conférence consultative politique du Peuple chinois. Si l’on veut faire des affaires sur le continent, rien de tel qu’une bonne dose de “patriotisme”, c’est-à-dire d’autocensure. Et pour ceux qui n’auraient pas compris, l’Autorité des communications veille au grain : l’organe de régulation est réputé pour faire pression sur les médias, en jouant par exemple sur la menace du non-renouvellement de leur licence (voir le dossier RSF: Hongkong, la main invisible de Pékin).
Le rachat fin 2015 du quotidien anglophone South China Morning Post par le fondateur et PDG du site chinois de commerce en ligne Alibaba.com, Jack Ma, a aussi tiré un trait sur les derniers espoirs de voir cette institution, née en 1903, exercer un quelconque rôle de contre-pouvoir. Au début de l’année 2016, près d’une trentaine d’employés, dont toute l’équipe de la rédaction internationale, avaient ainsi quitté le quotidien, pour être aussitôt remplacés par des personnalités réputées dociles ou proches de Pékin.
La violence fait place à une stratégie d’étouffement
Fort heureusement, les agressions physiques contre la presse ont diminué ces deux dernières années, à l’exception notable de l’attaque en février 2016 d'un journaliste du quotidien Min Pao par des policiers, alors qu’il couvrait les émeutes de Mongkok. Plus d’un an après, la justice ne semble pas pressée de faire la lumière sur cette affaire.
Les violences avaient culminé en 2014, l’année de la « révolution des parapluies », qui avait vu des dizaines de milliers de manifestants réclamer davantage de démocratie au cours d’un sit-in de plus de deux mois. Le 79e jour, la police avait dispersé la foule à coups de grenades lacrymogènes, faisant de nombreux blessés dont plusieurs journalistes qui couvraient les événements.
L’année 2014 avait commencé par une violente attaque à l’arme blanche perpétrée contre Kevin Lau, journaliste du quotidien Ming Pao. Elle avait ensuite été ponctuée d’actes de violence contre la presse, en particulier le groupe Next Media qui avait essuyé coup sur coup un blocage de son imprimerie, deux attaques au cocktail Molotov et une cyberattaque de grande ampleur. Mais en fin de compte, ces actions spectaculaires n’avaient fait que remonter un peu plus l’opinion contre l’exécutif et contre Pékin.
Limogeages et harcèlement de journalistes
Depuis, le pouvoir semble privilégier une stratégie plus discrète d’étouffement et de harcèlement des voix indépendantes. Le 20 avril 2016, le rédacteur en chef du célèbre quotidien Mingpao, Keung Kwok-yuen, a ainsi été brutalement licencié -officiellement pour motifs économiques- quelques heures seulement après avoir publié les dossiers des “Panama Papers” concernant des personnalités hongkongaises. En dépit d’une vague de protestations, le journaliste n’a pas été réintégré. Son nom s’ajoute à la longue liste des journalistes limogés pour leurs indépendance, une pratique malheureusement devenue banale à Hong Kong.
L’homme d’affaires chinois Gu Zhuoheng, président du journal sinophone Sing Pao Daily News, pourtant connu pour ses sympathies pro-Pékin, a aussi fait les frais de sa liberté de ton. En 2016, après la publication d'une série d’éditoriaux critiques envers le chef de l’exécutif hongkongais et ses connections en Chine, une chasse à l’homme a été lancée contre lui par la police chinoise. Accusé de fraude financière, il a été contraint de se réfugier à l’étranger. En février dernier, son journal a aussi été victimes d’une cyberattaque qui a bloqué son site pendant une journée.
Une nouvelle génération de médias sur Internet
Avec la démission des médias traditionnels, le public se tourne vers Internet. Ces dernières années, une poignée de journaux indépendants ont fait leur apparition sur le web hongkongais ces deux dernières années. D’apparence assez pro malgré des budgets tirés au cordeau, des titres comme HK01, The Initium, Post852, Stand News, Hong Kong Free Press et Citizen News sont ainsi venus compléter l’offre d’infos locales indépendantes, portée par le vétéran inMedia né en 2004.
Stand News, un site associatif lancé par l’entrepreneur Tony Tsoi et financé par les donations des lecteurs, a été le premier de la série, lancé début 2015. Quelques mois auparavant, son fondateur avait dû fermer un autre site, House News, après avoir été enlevé et menacé par les services de sécurité durant un séjour en Chine.
A l’été 2015, le site anglophone Hong Kong Free Press a suivi, créé par deux journalistes indépendants après une campagne de crowdfunding qui avait récolté quatre fois la somme initialement prévue. Après deux ans d’activités, le site annonce 8 500 articles journalistiques publiés, 500 000 visiteurs uniques et 1 million de pages lues chaque mois. Une audience pas négligeable, sur un territoire de 7,3 millions d’habitants à 90% sinophones.
En janvier de cette année, enfin, est apparu Citizen News, un site d’information en chinois, également financé par souscription, fondé par une dizaine de vétérans du journalisme. Le groupe compte notamment Kevin Lau, qui a mis à profit sa convalescence pour faire mûrir le projet, et la célèbre journaliste Daisy Li, lauréate du Prix international de la liberté de la presse 1994 décerné par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
Mais ces nouveaux médias restent fragiles. Outre leur exclusion de la couverture des événements officiels, ils doivent faire face aux incertitudes de modèles économiques non marchands et encore peu éprouvés, au risque de cyberattaques, et à la très grande difficulté, voire l’impossibilité, de couvrir l’actualité de la Chine continentale. Sans compter le risque permanent d’une mise au pas brutale, sur le modèle de celle subie par le milieu de l’édition indépendante à Hong Kong.
Le traumatisme de l’enlèvement des éditeurs
Car, même si deux années ont passé, personne n'a oublié l’enlèvement, en 2015, de cinq éditeurs de livres à scandale sur les hauts dirigeants chinois. Les éditeurs étaient réapparus à la télévision chinoise, encadrés de policiers et forcés de confesser leurs “crimes”. Un autre éditeur, Yiu Mantin, avait l’année précédente été condamné à dix ans de prison alors qu’il s'apprêtait à publier un ouvrage au titre évocateur: “Xi Jinping, parrain de la Chine”.
Désormais, à Hong Kong, on réfléchit à deux fois avant de publier des révélations sur Pékin. D’autant qu’un des libraires, Lee Bo, citoyen britannique, a été enlevé sur le territoire même de la région administrative spéciale et qu’un autre, Gui Minhai, citoyen suédois enlevé en Thaïlande, est toujours détenu en Chine.
Pour les Hongkongais, ces deux cas sont un rappel permanent du fait que nul passeport, et nulle frontière, ne les mettent totalement à l'abri des services secrets chinois. Une épée de Damoclès permanente, sachant que le régime autoritaire de Pékin a, ces dernières années, érigé l’enlèvement et la torture de militants des droits de l’homme en une véritable marque de fabrique.