Face à la propagande des régimes autoritaires, les démocraties peuvent instaurer un “mécanisme de réciprocité sur la base des principes universels”

Les régimes despotiques exportent leur propagande, tout en fermant leur espace public aux médias d’information indépendants, comme l’illustrent les procédures en cours contre la chaîne chinoise CGTN en Europe. Face à ce déséquilibre dangereux, il est impératif d’imposer aux médias étrangers les mêmes obligations positives qu’aux médias nationaux. Au surplus, une logique de réciprocité est légitime.

Le dossier de la télévision d’Etat chinoise China Global Television Network (CGTN) démontre l’urgence  pour les démocraties de rétablir une situation d’équilibre et de se doter d’outils pour contrer la propagande des pays autoritaires. Fer de lance de la propagande du régime de Pékin vers l’étranger, la chaîne satellitaire, placée depuis 2018 sous la tutelle directe du département de la propagande du parti communiste chinois, émet en langue anglaise à travers le monde, alors que les médias étrangers voient leur diffusion en Chine extrêmement restreinte. CGTN a fait l’objet ces derniers mois de procédures et décisions contradictoires dans plusieurs pays démocratiques. 


En février, le régulateur britannique des médias, l’Office of communications (Ofcom) a révoqué la licence de CGTN, au motif de son absence d’indépendance, et l’a sanctionnée pour avoir diffusé la confession forcée de l’ancien journaliste Peter Humphrey. En France, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a expliqué le 3 mars que la loi française ne prévoit pas d’autorisation préalable des chaînes satellitaires étrangères. La chaîne, diffusée sur un satellite de l’opérateur français Eutelsat, peut donc “être librement diffusée, sans formalité préalable”. Au regard de la directive de l’UE « services de médias audiovisuels » et de la Convention européenne pour la télévision transfrontière du Conseil de l’Europe, le CSA permet ainsi à CGTN de continuer à diffuser sa propagande dans toute l’Europe. Par exemple, CGTN, qui avait été bannie du câble en Allemagne suite à la décision de l’Ofcom, y a été rétablie du fait de la décision française. Cette situation illustre le peu de moyens des démocraties pour s’opposer à la propagande agressive de Pékin.


La nouvelle globalisation de l’information, permise par les moyens technologiques et leur faible coût, a théoriquement aboli les barrières à l’entrée des espaces informationnels. C’est une excellente nouvelle, dans la mesure où cela favorise l’ouverture du monde des êtres humains, et peut élargir le pluralisme. Néanmoins, les régimes despotiques ne jouant pas le jeu, cette mondialisation de l’information peut renforcer les pires standards en matière de contrôle de l’information. Les régimes despotiques maintiennent des barrières à l’entrée tout en exportant leurs contenus sous contrôle. 


Dans les pays démocratiques, les médias d’information bénéficient d’un cadre (plus ou moins satisfaisant) de liberté, d’indépendance et de pluralisme. Ils peuvent diffuser sans contrôle préalable, et l’espace public est naturellement ouvert aux médias étrangers. Malheureusement, comme le prouve l’actualité autour de la chaîne de propagande chinoise CGTN, des médias d’Etat (et non publics), diffusés depuis l’étranger et soumis à la tutelle directe de pouvoirs autoritaires, peuvent instrumentaliser ce système pour diffuser des contenus en contradiction avec les principes élémentaires du journalisme. 


Pour défendre le journalisme digne de ce nom, RSF recommande que les régimes démocratiques imposent aux médias qui diffusent depuis l’étranger les mêmes obligations qu’elles imposent aux médias qui diffusent depuis leurs territoires. Pour être autorisés à utiliser les fréquences, les médias audiovisuels des pays étrangers devraient ainsi s’engager à respecter certaines obligations de base, relatives notamment à l’honnêteté et au pluralisme de l’information ou au respect de la dignité des personnes, obligations dont le non-respect peut entraîner des sanctions. 


L’asymétrie entre des pays démocratiques ouverts, à information libre, et des pays fermés, à information contrôlée, exportateurs de propagande, affaiblit le journalisme, et plus largement la fiabilité de l’information, qui suppose sa liberté, son indépendance et son pluralisme. Cette asymétrie de l’ouverture et de la fermeture donne aux dictatures un avantage concurrentiel sur les démocraties, sans servir la cause du journalisme, puisque celui-ci est bloqué, tandis que les dictatures peuvent exporter leur propagande. 


Du point de vue de RSF, l’instauration d’un système de réciprocité basé sur les principes universels de la liberté d'expression et d'information serait parfaitement légitime. Pour ne pas donner un avantage concurrentiel à la propagande, les pays démocratiques pourraient conditionner l’ouverture de leur espace public à l’ouverture des espaces informationnels des pays à régimes despotiques. Ce "mécanisme de réciprocité sur la base des principes universels" ne viserait pas à renforcer les logiques de fermeture et de cloisonnement des espaces publics, mais au contraire favoriser leur ouverture et le respect des principes universels. 


« Les démocraties doivent se doter d’outils efficaces pour contrer la propagande des régimes autoritaires, qui vise à écraser le journalisme, déclare le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Des mesures de protection sont légitimes et même nécessaires, en prenant évidemment soin qu’à aucun moment elles ne restreignent la liberté, l’indépendance et le pluralisme du journalisme lui-même. La globalisation de l’information peut être une formidable avancée pour l’humanité, à la condition que le système international ne donne pas un avantage concurrentiel aux dictatures et à leurs médias de propagande sur les démocraties et leurs médias libres et indépendants en comparaison. »


L’accord global entre l’Union européenne (UE) et la Chine sur les investissements (AGI, Comprehensive Agreement on Investment, CAI) conclu fin 2020 et qui doit maintenant être ratifié par l’Union européenne et ses États membres est à cet égard parfaitement insuffisant et déséquilibré. Là où il permet à la Chine d’investir en Europe dans le secteur des médias, les annexes de l’accord restreignent toute possibilité pour les entreprises européennes d’investir dans le secteur de l’information, les médias audiovisuels ou les journaux. L’UE ne peut se satisfaire d’un tel déséquilibre.


La Chine stagne au 177e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF. Dans un rapport intitulé Le nouvel ordre mondial des médias selon la Chine publié en 2019, RSF dévoile la stratégie déployée par le régime de Pékin pour contrôler l’information hors de ses frontières, un projet qui menace la liberté de la presse dans le monde.

Publié le
Updated on 27.04.2021