Exportations des technologies de surveillance : RSF et une coalition d’ONG formulent des recommandations aux États membres de l’UE

Dans une déclaration commune, Reporters sans frontières (RSF) et une coalition d’ONG saluent les aspects positifs du projet de réglementation européenne sur les exportations de biens à double usage, dont font partie les technologies de surveillance, et formulent des recommandations à l’attention des Etats membres de l’UE pour sa mise en oeuvre.

Après près d’une décennie de négociations, le projet de réforme du règlement de l'Union européenne sur les exportations des biens double usage a été adopté aujourd’hui par le Parlement européen. Cette réglementation vise à prévenir les atteintes aux droits de l'homme résultant de la surveillance numérique en établissant des mécanismes de contrôle des exportations de technologies de surveillance produites par des entreprises européennes. RSF et une coalition d’organisations de défense des droits humains saluent les éléments positifs de ce compromis mais regrettent que l’UE ait manqué une occasion de mettre en place un règlement plus ambitieux qui inclut des protections plus fortes nécessaires à la sauvegarde des droits de l’homme et de la sécurité.

 

Déclaration commune des organisations

 

“Nous, les organisations soussignées, saluons les éléments positifs du compromis annoncé entre les institutions de l'UE pour réformer le règlement de l’Union européenne sur les exportations des biens double usage, qui vise à prévenir les atteintes aux droits de l’homme résultant de la surveillance numérique en établissant des contrôles à l'exportation pour les technologies de surveillance exportées par les entreprises basées dans l’UE. Cependant, ce compromis est une occasion manquée de mettre en place un règlement plus ambitieux incluant des protections plus fortes nécessaires à la sauvegarde des droits de l’homme et de la sécurité. 

 

Si certains éléments positifs de l’accord de compromis sont à saluer, notamment l’obligation pour les autorités de l’UE de fournir publiquement des informations détaillées sur les licences d’exportation qui ont été approuvées ou refusées et sur les risques en matière de droits de l’homme associés aux demandes de licences d’exportation des entreprises, l’accord ne prévoit pas de conditions explicites et strictes pour les autorités des Etats membres et les exportateurs. Ces conditions ont été exprimées à de nombreuses reprises devant le législateur de l’UE. Il est évident que si certains parlementaires et États membres ont reconnu la nécessité d’une protection accrue tout au long des négociations, d’autres États membres ont donné la priorité aux intérêts étroits de l’industrie plutôt qu'à leurs obligations en matière de protection des droits de l’homme. 

 

Il n’aurait pas dû falloir près d’une décennie de négociations pour finaliser ce processus. Alors que les négociations se sont enlisées et que les dispositions les plus fortes de la proposition initiale de la Commission ont été édulcorées, les entreprises basées dans l'UE ont continué à porter atteinte aux droits de l'homme en vendant et en exportant des technologies de surveillance dans le monde entier, y compris à des auteurs connus d’atteintes aux droits humains. En outre, des mesures vitales qui auraient imposé des contraintes significatives à l'exportation de technologies à double usage n'ont pas été adoptées.

 

Cependant, il est maintenant essentiel que tous les États membres mettent en œuvre avec fermeté les éléments positifs de l'accord une fois qu'il aura été approuvé. Les États membres de l'UE et la Commission doivent également aller plus loin que le nouveau compromis afin de respecter leurs obligations internationales en matière de droits de l'homme et de garantir que la poursuite de l'exportation d'outils de surveillance sophistiqués par les entreprises de l'UE ne facilite pas les violations des droits de l'homme dans le monde entier. La Commission devrait rapidement élaborer, en consultation avec la société civile, des lignes directrices claires pour garantir l'adhésion aux nouvelles mesures et les diffuser auprès de toutes les parties prenantes nationales et commerciales. Plus important encore, la Commission devrait suivre de près la mise en œuvre du nouveau règlement par les États membres et adopter toutes les mesures nécessaires en vertu du droit européen pour prévenir, sanctionner et remédier à toute infraction éventuelle.

 

Recommandations

 

Le projet de réglementation nouvellement adopté doit être considéré comme une base de référence minimale. Pour remplir leurs obligations internationales en matière de protection des droits de l'homme, et sous la surveillance étroite et des orientations claires de la Commission européenne, les États membres devraient, lors de la mise en œuvre de cet accord : 

 

  • Interpréter la "cyber-surveillance" comme incluant les biens suivants qui sont déjà soumis à une licence d'exportation :
    • Les matériels d'interception ou de brouillage des télécommunications mobiles
    • Les logiciels d'intrusion
    • Les systèmes ou équipements de surveillance des communications des réseaux IP
    • Les logiciels spécialement conçus ou modifiés pour la surveillance ou l'analyse par les forces de l’ordre
    • Les équipement de détection acoustique par laser
    • Les outils d’analyse qui extraient des données brutes d'un dispositif informatique ou de communication et contournent l’authentification ou les contrôles d’autorisation d’un appareil.
    • Les systèmes ou équipements électroniques conçus pour la
      surveillance et le contrôle des fréquences du spectre électromagnétique à des fins de renseignement militaire ou de sécurité
    • Les véhicules aériens sans pilote capables de mener des opérations de surveillance
  • Veiller, dans les plus brefs délais, à ce que les systèmes spécialement conçus pour procéder à l'identification biométrique de personnes physiques à des fins de sécurité soient soumis à un contrôle dans le cadre de la liste de biens contrôlés établie par l’Union européenne et de l'Arrangement de Wassenaar, à travers un processus transparent et consultatif, et interpréter ces systèmes comme constituant une "cyber-surveillance".
  • Veiller à ce que des rapports détaillés décrivant les demandes de licences d'exportation présentées aux autorités concernant tous les biens à double usage soient mis à la disposition du public de manière régulière, de préférence tous les mois. Ces rapports doivent au minimum indiquer le nombre de demandes de licence par article, le nom de l'exportateur, une description de l'utilisateur final et de la destination, la valeur de la licence, et préciser si la licence a été accordée ou refusée et pourquoi.
  • Veiller à ce que la législation nationale régissant l'évaluation des licences d'exportation tienne compte des protections européennes pertinentes en matière de droits de l'homme, telles que la Charte des droits fondamentaux de l'UE ainsi que celles élaborées par la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi que des preuves fournies par la société civile et les experts en droits de l'homme.
  • Veiller à l’adoption d’une législation européenne exigeant des entreprises qu’elles respectent les droits de l’homme et qu’elles se conforment à leur devoir de vigilance (“due diligence”) en matière de droits de l'homme, comme le prescrivent les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Les entreprises devraient être tenues d'identifier, de prévenir et d'atténuer les effets négatifs potentiels et réels de leurs activités et de leur chaîne de valeur sur les droits de l'homme. Les mesures de contrôle des transactions prises par les États membres devraient comprendre une évaluation de la nature stratégique des biens et des risques qu'ils représentent en matière de violation des droits de l'homme. Les autorités nationales devraient rendre compte des activités mises en place pour se conformer à leur devoir de vigilance et encourager les entreprises à informer le public sur la portée, la nature et les résultats des procédures de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme qu’elles ont mis en œuvre. Les États membres et les entreprises devraient également mettre en place des mécanismes de plaintes appropriés afin d'offrir un recours efficace en cas de violation des droits de l'homme commise au moyen de la technologie exportée.”

 

La déclaration conjointe complète en anglais est consultable ici.

 

Les organisations signataires sont : 

  • Access Now
  • Amnesty International
  • Committee to Protect Journalists
  • FIDH (International Federation for Human Rights)
  • Human Rights Watch
  • Privacy International
  • Reporters Without Borders (RSF)
Publié le
Mise à jour le 25.03.2021