Egypte

Sous le règne du président Hosni Moubarak, le Web échappait certes à la censure, mais les autorités exerçaient cependant une surveillance étroite des blogueurs les plus critiques, et procédaient à des arrestations régulières. A la fin du mois de janvier 2011, au plus fort de la contestation, le régime a d’abord filtré les images sur la répression, puis bloqué l’accès à Internet pour empêcher le mouvement de prendre de l’ampleur. Les journalistes ont également été violemment pris à partie. La chute du dictateur est l’occasion d’assurer un meilleur avenir à la liberté d’expression, notamment en ligne.

Libération symbolique, poursuites et arrestations sous l’ère Moubarak
Libération de Kareem Amer
Le blogueur Kareem Amer a été relâché le 15 novembre 2010, dix jours après le terme de sa peine après plus de quatre ans passés en prison. Alors qu’il avait terminé de purger sa peine le 5 novembre dernier, il n’avait pas été libéré et avait été victime de mauvais traitements par les services de sécurité intérieure. Il avait été condamné, le 22 février 2007, à trois ans de prison pour "incitation à la haine de l’islam" et un an pour "insulte au président égyptien". Sur son blog, il dénonçait les dérives religieuses et autoritaires du gouvernement, ce qui lui avait valu une première interpellation en 2005. Il écrivait également régulièrement sur les discriminations envers les femmes et critiquait l’université sunnite Al-Azhar où il avait étudié le droit. Dans le monde entier, de nombreux mouvements de mobilisation, organisés notamment par la Free Kareem Coalition, avaient vu le jour ces dernières années pour réclamer la libération du blogueur. Reporters sans frontières lui avait décerné son prix “Cyberlibertés“ en décembre 2007. Procès contre des blogueurs et militants des droits de l’homme
Des blogueurs et défenseurs des droits de l’homme ont fait l’objet de plusieurs poursuites judiciaires ces derniers mois, qui n’ont heureusement pas abouti. Parmi eux, Gamal Eid, directeur du Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme (ANHRI), Ahmed Seif El Islam Hamad, fondateur du Centre Hisham Mubarak (HMLC), le blogueur Amr Gharbeia et le blogueur Wael Abbas. Arrestation d'un net-citoyen intéressé par l'armée
Le net-citoyen Ahmed Hassan Basiouny a été condamné à six mois de prison par une cour martiale, le 29 novembre 2010, accusé d’avoir “diffusé des informations classées secret défense via Internet” et “publié des informations liées aux forces armées de l’Egypte”. Il avait créé, en 2009, une page Facebook, intitulée “Enrôlement et recrutement en Egypte et réponses aux questions des jeunes postulants”, fournissant des informations et des conseils sur le recrutement dans l’armée égyptienne. Ahmed Hassan Basiouny ne s’est livré à aucune activité subversive ou dommageable pour l’armée, dont il a au contraire assuré la promotion auprès des internautes égyptiens. Cette condamnation démontre combien l’armée était un sujet tabou, qu’on en parle en bien ou en mal. Khaled Saïd, symbole de l’impunité, cristallise le mécontentement des internautes et de la population
Le 6 juin 2010, Khaled Mohammed Saïd, un jeune militant des droits de l’homme de 28 ans, a été assassiné à Alexandrie. Selon le propriétaire d’un cybercafé, Khaled Mohammed Saïd aurait été battu à mort dans la rue après avoir été arrêté par deux policiers en civil dans son établissement. D’après des organisations locales des droits de l’homme, il avait posté sur Internet une vidéo montrant la corruption de la police. Selon la police, le jeune homme est mort des suites d’une overdose. Deux policiers, Mahmoud Salah Amine et Awad Ismaïl Souleimane, ont été arrêtés. Jugés pour brutalités ayant causé la mort du jeune homme, ils se sont échappés de la prison où ils étaient détenus en janvier 2011. Le procès doit reprendre le 6 mars 2011. Khaled Saïd est devenu un symbole. Plusieurs milliers de personnes ont manifesté pour réclamer la fin de l’impunité pour les actes de brutalités et de violence policières. La mobilisation a été particulièrement forte sur Internet, en raison des difficultés pour manifester dans la rue. Wael Ghonim, le représentant de Google au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, qui s’est illustré pendant les manifestations de février 2011, a reconnu être l’administrateur du groupe Facebook baptisé "We Are All Khaled Said", qui compte près de 100 000 membres. Certains voient dans les manifestations liées à l’affaire Khaled Saïd, des signes annonciateurs de la révolution égyptienne. Fraudes électorales : censure contre blogueurs
La censure des médias s’est renforcée lors des élections législatives de décembre 2010. Il s’agissait d’étouffer la couverture des fraudes électorales. Internet n’a pas été épargné. Plusieurs sites ont été rendus inaccessibles pendant des heures, notamment le site Internet des Frères musulmans (Ikhwan Online) et leur forum en ligne Al-Moltaqa. Sept autres sites Internet ont également fait l’objet de censure intermittente pendant vingt-quatre heures : shahid2010.com, shababelikhwan.net, sharkiaonline.com, amlalommah.net, nowabikhwan.com, egyptwindow.net et ikhwanweb.com. Les autorités, notamment l’IDSC (Information and Decision Support Center) qui dépend du conseil des ministres, étaient responsables du blocage de ces sites, en coordination avec les fournisseurs d’accès à Internet (TEDATA, ETISALAT et LINK DSL). Les blogueurs ont été très mobilisés lors des élections pour informer leurs concitoyens, s’organisant en réseaux pour récolter et diffuser les informations. Ils se sont rendus dans les bureaux de vote pour prendre des photos et des vidéos et constater le déroulement du scrutin. Certains, témoins de fraudes, ont parfois été pris à parti, voire interpellés, par les forces de l'ordre. Internet et les blogueurs dans la tourmente de la révolution égyptienne
Filtrage, coupure d’Internet et menaces
Les 25 et 26 janvier 2011, alors que les Egyptiens descendent dans la rue, inspirés par la révolution tunisienne, les autorités font tout leur possible pour tenir les médias à distance des manifestations, afin d’empêcher la diffusion d’images. Dès les premières heures de l’après-midi, le 25 janvier, les autorités brouillent les réseaux de téléphonie mobile dans les lieux des rassemblements au Caire. Twitter est bloqué le 25 janvier dans l’après-midi, tout comme le site de streaming bambuser.com. Le hashtag #jan25, en référence aux manifestations, circule largement sur le réseau social. Facebook est, depuis plusieurs années, largement utilisé par les dissidents et la société civile égyptienne comme outil de diffusion d’informations et de mobilisation, notamment autour du mouvement de protestation du 6 Avril, soutenu par la société civile. Le 26 janvier, l’accès à Facebook est bloqué de manière intermittente et inégale en fonction des fournisseurs d’accès à Internet. Des problèmes de ralentissement de connexion sont alors signalés, en particulier lors de tentatives d’accès aux sites des journaux en ligne Al-Badil, Al-Dustour et Al-Masry Al-Youm, Al-Badil et Al-Dustour qui sont, par la suite, bloqués. Celui d’Al-Masry Al-Youm subit d’importantes perturbations, empêchant le site de fonctionner pendant toute l’après-midi du 25 janvier. Ces médias en ligne jouent un rôle de premier plan dans la couverture des événements qui se déroulaient sur la place Tahrir. Les blogueurs et les manifestants qui se sont improvisés journalistes citoyens ont réalisé un important travail de couverture des événements. Ils tweetaient depuis la place Tahrir, postaient des vidéos sur YouTube, se connectaient sur le site de streaming Bambuser, pour informer sur le mouvement de mobilisation et la répression brutale lancée par les partisans d’Hosni Moubarak. Le 27 janvier au soir, les autorités égyptiennes, dépassées par les événements, ont pris des mesures drastiques en coupant l’accès à Internet, ainsi que le réseau de télécommunication mobile. Seul le fournisseur d’accès Nour, très minoritaire, conservait alors un accès au Web pour quelques temps. Les net-citoyens trouvent, malgré tout, de nombreuses parades pour faire circuler l'information. A l’étranger, des fournisseurs d’accès ont proposé aux internautes égyptiens d’utiliser leur réseau via une connexion par modem. Le réseau de téléphonie fixe était en effet toujours actif dans le pays. En France, le fournisseur d'accès French Data Networks a fourni le numéro +33 1 72 89 01 50, disponible avec les identifiant et mot de passe “toto”. Le suédois Telecomix proposait la même solution de contournement, avec le numéro +46 85 000 999 0 et le code d’accès “telecomix”. Google et Twitter se sont associés à cette lutte contre la censure en mettant en place un système de tweets vocaux. Les internautes ont été invités à appeler l’un des numéros internationaux suivants : +1 650 419 4196 ou +39 06 62 20 72 94 ou +97 316 199 855. Ils laissaient ensuite leurs messages, instantanément publiés sur Twitter, suivi du mot-clé #egypt. L’accès à Internet a été rétabli en Egypte dans la matinée du 2 février, après cinq jours de blocage. L'Organisation pour la Coopération et le Développement économiques (OCDE) a estimé à 90 millions de dollars les pertes financières occasionnées pour le pays par cette coupure. Selon le bilan des exactions contre les médias établi par Reporters sans frontières depuis le 2 février 2011, au moins soixante-quinze journalistes ont été attaqués et quatre-vingt un détenus. La blogueuse Asma Mahfouz, qui avait appelé les Egyptiens à descendre dans la rue pour manifester le 25 janvier dernier, a déclaré à la chaîne BBC, le 5 février 2011, avoir reçu de nombreux appels téléphoniques de partisans du président Hosni Moubarak menaçant de la tuer, elle et sa famille. Le blogueur Kareem Amer a été arrêté le 7 février alors qu’il rentrait à son domicile après une manifestation. Il sera finalement relâché trois jours plus tard. Le 7 février 2011, de nouvelles perturbations des réseaux de téléphonie mobile et des problèmes d’accès à Internet depuis la place Tahrir sont constatés. Quel avenir pour la liberté d’expression en ligne en Egypte ?
Alors que l’Egypte se penche sur des réformes constitutionnelles, l'avenir de sa révolution semble encore incertain. Des tensions persistent entre les militaires et les manifestants qui ont obtenu le départ d’Hosni Moubarak. Le 25 février, de nouveaux heurts se sont produits sur la place Tahrir. L'armée s'est par la suite excusée auprès des manifestants, qualifiés de « fils de la révolution », sur sa page Facebook. Signe que les temps ont changé ? D'après plusieurs sources de Reporters sans frontières, le filtrage appliqué au plus fort de la révolte n'est plus d'actualité. La Toile égyptienne est en pleine effervescence. Des Egyptiens qui jusqu'ici ne se mêlaient pas de politique participent maintenant en ligne à des débats sur l'avenir du pays et diverses causes. Ils n'ont plus peur de s'exprimer. Pour autant, certains blogueurs sont toujours inquiets du fait que les sbires de la sécurité d'Etat seraient toujours en service, et continueraient de surveiller les activités des dissidents. Le gouvernement et l'armée doivent œuvrer à l’amélioration de la liberté d'expression en ligne et procéder de manière transparente au nécessaire démantèlement de l'appareil de surveillance mis en place sous l'ère Moubarak. La révolution égyptienne ne fait que commencer. Les blogueurs, porte-étendards de la liberté d’expression, restent vigilants.
Publié le
Updated on 20.01.2016