Deux caricaturistes européens menacés pour cause d’atteinte à l’image de la religion ou de l’Etat

Deux dessinateurs, un Hongrois et un Suédois, sont la cible de violentes campagnes de harcèlement pour avoir tourné en dérision une autorité politique ou religieuse. Reporters sans frontières (RSF) dénonce des pressions inacceptables qui remettent en cause le droit d’informer au coeur de l’Europe.

La caricature, publiée le 28 avril dernier dans le quotidien Népszava, moque la gestion de la crise du coronavirus par le gouvernement hongrois. On y voit la médecin en chef au Centre national de santé publique dire à Jésus sur la croix que les patients décédés du coronavirus étaient prédisposés à mourir en raison de pathologies pré-existantes. Ce dessin de Gábor Pápai fait allusion aux propos de la membre du “groupe de travail coronavirus“ du gouvernement, qui avait relativisé le nombre de décès directement dû au Covid-19. Il a provoqué une levée de boucliers parmi les députés du Parti populaire démocrate-chrétien, allié du parti au pouvoir Fidesz. Au point que le secrétaire d’Etat en charge des communautés chrétiennes persécutées, Tristan Azbej, accuse le caricaturiste de blasphème et menace de porter plainte contre lui ou le journal Népszava

 

Dans la foulée des réactions de députés du très conservateur gouvernement hongrois, des médias proches du pouvoir ont lancé une campagne d'intimidation et de pression contre le caricaturiste. Une station de radio est allée jusqu’à demander la divulgation de son adresse personnelle, car « beaucoup de gens voudraient lui rendre visite ».

 

En Suède, c’est le caricaturiste Mahmoud Abbas qui a été la cible de milliers de messages hostiles sur les réseaux sociaux, après avoir publié le 20 avril dernier sur Facebook, une caricature qui évoquait l’effondrement des prix du pétrole. Le dessin montrait le prince-héritier du royaume saoudien, Mohammed Ben Salmane, en train de dévaler une pente pour échapper à des barils de pétrole en chute libre. Critiquer le roi, le prince héritier ou leur politique est considéré par les Saoudiens comme une atteinte à l’image du Royaume, ses institutions ou ses symboles. 

 

Mahmoud Abbas, qui collabore régulièrement avec la chaîne de télévision Al Jazeera, est d’autant plus la cible de critiques et de menaces de la part d’internautes saoudiens qu’il est d’origine palestinienne. L’Arabie saoudite ayant financé de nombreux programmes d’aide dans les territoires palestiniens, il a été taxé d’ingratitude. Un moindre mal cependant, compte tenu des nombreux messages décrédibilisant le caricaturiste sur le plan personnel et surtout les menaces de mort qu’il a reçues. Des informations personnelles sur lui et sa famille ont également été publiées. Mahmoud Abbas a porté plainte auprès de la police suédoise. Il explique vivre aujourd’hui dans une peur « constante » pour lui et sa famille et ne plus oser ouvrir sa porte ou même répondre au téléphone.  

 

« Il est inquiétant de constater que les journalistes suédois sont de plus en plus souvent attaqués par des Etats et pouvoirs étrangers, s’alarme le président de la section suédoise de RSF, Erik Halkjaer. Cette ingérence extérieure qui menace la liberté d’expression et d’information en Suède ne peut être tolérée. Les autorités doivent tout mettre en oeuvre pour permettre à la Suède de rester un modèle pour la liberté de la presse en Europe. »

 

« La notion de blasphème ou d’atteinte à l’image d’un Etat ne peuvent justifier une exception au droit d’informer, déclare pour sa part le responsable du bureau Union européenne/Balkans de RSF, Pavol Szalai. En tant que membres de l’Union européenne, la Suède, comme la Hongrie, se doivent au contraire d’être exemplaire dans la lutte contre les campagnes de haine qui menacent la sécurité des caricaturistes. Tout doit être fait également pour assurer leur protection et celle de leur famille. »

 

Au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020, la Suède se situe à la 4e place et la Hongrie est en 89e position.

Publié le
Mise à jour le 14.05.2020