Depuis un an, Donald Trump se prendrait-il pour le patron de la presse américaine ?

Depuis le 8 novembre dernier et l’élection de Trump à la fonction suprême, plus une semaine ne passe sans que le président des Etats-Unis se mêle des décisions éditoriales de la presse américaine. Attaquant et dénigrant à tout bout de champ les journalistes, il les accuse de divulguer des “fake news” et de mal faire leur travail. Face à un tel acharnement, RSF se demande si Donald Trump n’est pas en train de se prendre pour un magnat de la presse.

Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump n’a cessé de confirmer une véritable obsession envers les journalistes. Le capricieux président ne comprend pas pourquoi il n’y a pas plus de “journalistes amicaux” aux Etats-Unis pour parler de ses “grandes réussites” au lieu de couvrir d’autres sujets ? Les attaques ciblées sont de plus en plus répétées et le “media bashing”, le matraquage anti-média, n’a jamais été si ostensible. Pour le chef de l’administration américaine, c’est une évidence : une presse qui fait son travail est de facto “malhonnête”. Pire, elle est nuisible pour le pays. Et surtout, elle est “hors de contrôle”.


L’ancien chef d’entreprise Donald Trump, habitué à licencier ses employés d’un claquement de doigts, a visiblement en horreur cette presse à la liberté insolente. D'où peut-être sa propension à confondre son rôle de président avec celui d’un autoritaire patron de presse.


Lors de sa toute première conférence de presse, le 11 janvier, celui qui n’était alors pas encore officiellement chef d’Etat avait tenté de poser les bases de sa future relation avec les médias, en adoptant un ton paternaliste dont il ne s’est depuis plus départi. En substance, voici les grandes lignes de sa vision éditoriale pour les médias du pays: si vous ne publiez pas d’informations négatives à mon sujet, je vous respecterais. Ce jour-là, Donald Trump avait ainsi adressé des “compliments” aux journalistes n’ayant pas divulgué un rapport confidentiel à la fiabilité contestée sur ses liens avec la Russie, et avait exprimé son mépris pour les autres. L’un d’entre eux, le correspondant de CNN à la Maison Blanche, avait même été privé de questions.


Quatre semaines plus tard, c’est un président visiblement agacé qui s’était à nouveau présenté devant la presse. Déçu par la couverture médiatique de son début de mandat, Donald Trump s’en était violemment pris à ce parterre de personnes “malhonnêtes”, qui n’avaient pas respecté ses consignes. “J’espère que cela sera différent à l’avenir”, avait-il encore prévenu.


Donald Trump s’imagine visiblement pouvoir juger des bonnes pratiques journalistiques, mais il est en réalité le président des Etats-Unis, pays du Premier amendement, et il a fait le serment, lors de son entrée en fonction, de protéger et de défendre la liberté de la presse, déclare Margaux Ewen, responsable du plaidoyer et de la communication pour le bureau Amérique du Nord de RSF. Ses critiques constantes envers la presse et certains journalistes stigmatisés ne constituent rien de moins qu’une violation de ce serment.


Neuf mois se sont depuis écoulés et Donald Trump a dû essuyer bien des déceptions quant au travail des journalistes. Toutefois, le président/magnat des médias ne relâche pas la pression et sévit toujours plus. En témoigne cet exemple récent. Le 11 octobre dernier, après la diffusion d’informations de la chaîne NBC au sujet de l’arsenal nucléaire américain, le chef d’Etat, jugeant ces informations erronées, a allègrement franchi les limites de sa fonction présidentielle. “À quel moment est-il légitime de reconsidérer le droit d’exercer de ces personnes ?”, a-t-il lancé, en référence aux journalistes de NBC. Envisager de retirer des autorisations d’antenne à des journalistes constitue une menace de rétorsion disproportionnée et infondée.


Une liberté écœurante


De façon récurrente, le chef de l’administration américaine se pose des questions sur le fonctionnement de la presse. Parfois, il fait même des découvertes. “C’est franchement dégoûtant que les journalistes puissent écrire ce qu’ils veulent”, a-t-il lâché, le même jour en réaction à la même affaire, insinuant au passage que les reporters s’embarrasseraient peu des faits réels. Son dégoût envers la liberté de la presse va jusqu’à lui faire oublier l’existence du tout Premier amendement de la constitution de son pays.


Qu’importe que la liberté d’expression soit inscrite dans la constitution, il y a des mots désormais qu’il ne vaut mieux plus dire. En septembre, une employée de la chaîne ESPN, Jemele Hill, a provoqué l’ire du gouvernement après avoir eu le culot de tweeter des commentaires anti-Trump. En réaction, la porte-parole du président, Sarah Huckabee Sanders, a estimé le 13 septembre que ESPN devait renvoyer la journaliste, jugeant que cette dernière avait commis "une faute qui justifiait un licenciement”.


Cette injonction rappelle les agissements de vrais dirigeants de médias, tels que le patron de News Corp, Rupert Murdoch qui, en 1982, avait renvoyé un rédacteur en chef du journal The Times avec un lapidaire “Je veux votre démission aujourd’hui”. Contrairement au journaliste du Times, Jemele Hill n’a, elle, pas été renvoyée par son patron - qui n’est pas Donald Trump.


Deux jours plus tard, le président insatisfait s’en est lui-même pris à la rédaction désobéissante. Les audiences de votre chaîne subissent des baisses record. Excusez-vous pour vos mensonges!, a-t-il pesté sur Twitter. Avant d’en remettre une couche le 10 octobre, accusant cette fois-ci directement Jemele Hill d’être responsable des mauvais scores de la chaîne, sans s’interroger sur son droit d’intervenir dans le management d’une chaîne privée et de juger de ses performances en termes d’audimat.


Journaliste vilain sera puni


Au-delà du cas ESPN, le locataire de la Maison blanche se fend régulièrement d’analyses sur les audiences de différents médias, comme le 7 août où il a pointé les “mauvais résultats”, selon lui, du New York Times.


Réel intérêt de la part du président pour la santé des organes de presse de son pays ? Pas vraiment! Ces déclarations biaisées lui permettent plutôt de prendre sa revanche sur des rédactions qui n’ont pas, selon lui, rapporté les faits comme ils auraient dû l’être. Une manière de montrer que, puisque ces journalistes se sont mal conduits, ils sont punis par des chutes d’audiences.


La sanction des mauvaises audiences n’est pas la seule façon dont le président Trump dénigre publiquement des médias. Tel un rédacteur en chef exigeant, il assène à longueur de temps son fameux “fake news” pour fustiger les “mauvais reportages” et les “mauvais journalistes”. Serait-ce là la marque d’une vocation ratée? Le 16 février dernier, le président américain avait assuré: “Je pourrais être un bon reporter”.


Sa rigueur journalistique semble en tout cas être mise à mal lorsque son amour propre entre en jeu. En effet, à chaque fois que Donald Trump parle de “fake news”, il vise en réalité un sujet, un journaliste ou une rédaction qui a relayé un point de vue critique envers lui ou son action politique. Les évènements de Charlottesville, la primaire républicaine de l’Alabama, le rôle présumé joué par la Russie dans la campagne présidentielle de 2016, la réponse de l’administration américaine après le passage de l’ouragan Maria qui a dévasté Porto Rico, la politique concernant l’arsenal nucléaire des Etats-Unis… Autant d’exemples qui ont déplu au “président-journaliste”.


Manque de gratitude


Un autre cas, particulièrement frappant, illustre l’incompréhension de Donald Trump lorsqu’il s’agit de ses relations avec les médias. Durant une conférence de presse, le 6 juillet 2017, alors que le président américain fustigeait la couverture “très, très malhonnête” que CNN avait fait de lui, il a ajouté : “NBC a fait une couverture tout aussi mauvaise, malgré le fait que je leur ai rapporté une fortune avec “The Apprentice”, mais ça ils l’ont oublié”.


Le chef de l’administration américaine estime donc que les journalistes de NBC lui sont redevables pour avoir produit une émission de télé réalité qui a rapporté de l’argent à la chaîne. Et quoi de mieux pour remercier leur ancien bienfaiteur que de réaliser des reportages en sa faveur ? La vision de l’indépendance du journalisme du président américain est pour le moins étrange. Au point qu’il ne craint pas, à l’inverse, de faire preuve de générosité envers ses médias chouchous qui travaillent bien.


Depuis sa prise de fonction, Donald Trump a accordé 16 interviews à Fox News, cette chaîne conservatrice et critique envers les lanceurs d’alerte dont il a affirmé qu’elle proposait “l’émission matinale la plus honnête”. En comparaison, dans ce même laps de temps, il n’a accordé qu’une seule interview à ABC, deux à CBN, une à CBS et zéro à CNN.


Face à ce déséquilibre flagrant et aux nombreuses déclarations inquiétantes de l’administration américaine envers la presse, Reporters sans frontières rappelle à Donald Trump et à son équipe : non, les journalistes américains ne travaillent pas pour le président des Etats-Unis. Ils ne lui doivent rien et n’ont pas de leçons à recevoir de lui. Ils travaillent pour des rédactions dont il faut absolument préserver l’indépendance, de peur que cette infantilisation grotesque de la presse ne menace à terme l’équilibre de toute une démocratie.


Les Etats-Unis ont perdu en un an, deux places au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF, se situant à la 43e place.

Publié le
Updated on 03.11.2017