De l’année du Serpent à celle du Chien, cinq années noires pour le journalisme en Chine

Alors que la Chine s’apprête à fêter son Nouvel an, RSF rappelle que plus de 50 journalistes et blogueurs sont toujours derrière les barreaux. De l’année du Serpent à celle du Chien, le président Xi Jinping a conforté son pouvoir sur les décombres de la liberté d’information.

Une nouvelle fois, des dizaines de journalistes et blogueurs chinois passeront les fêtes du Nouvel an en prison. Au pouvoir depuis fin 2012 et récemment reconduit pour cinq ans, le président Xi Jinping a entrepris d’imposer sa vision d’une société basée sur la censure et la surveillance, et de laquelle l'éthique journalistique et le droit des citoyens à l’information sont exclus.


“Nous appelons la communauté internationale à faire davantage pression sur le pouvoir chinois afin qu’il libère les journalistes et blogueurs détenus, insiste Cédric Alviani, directeur du bureau Asie de l’Est de Reporters sans frontières (RSF). Le journalisme indépendant est indispensable à l’exercice des droits humains et civiques, et, contrairement à ce que qu’affirme Pékin, il est tout à fait compatible avec la culture chinoise comme on le voit à Hong Kong et à Taïwan.”


Campagne contre les “rumeurs”


Début 2013, au commencement de l’année du Serpent, beaucoup espéraient que le nouveau président apporterait un vent d’ouverture et de réformes. Paradoxalement, celui dont la famille fut victime de la révolution culturelle s’est au contraire attelé à restaurer une culture médiatique digne de l’ère maoïste.


Avec sa “campagne contre les rumeurs”, Xi Jinping a vite repris en main les médias qui, sous son prédécesseur, s’étaient timidement fait l'écho du pluralisme des opinions dans la société chinoise. Le président exige désormais que les journalistes se fassent le relais de la “propagande du parti.”


Le Département de la Publicité du Parti communiste chinois (DPPCC), qui a la haute main sur l’action de 14 ministères, communique chaque jour aux médias une liste de sujets à mettre en avant et ceux interdits, sous peine de sanctions. Même les correspondants étrangers se plaignent du harcèlement que leur font subir les autorités.


De lourdes peines pour l’exemple


En avril 2016, la journaliste Wang Jing a été condamnée à quatre ans et demi de prison pour avoir reporté une tentative de suicide à but politique survenue place Tian’anmen. Deux ans auparavant, Gao Yu, l’ancienne correspondante de Deutsche Welle, accusée d’avoir fourni des documents confidentiels à un média étranger, était pour sa part forcée à "confesser ses crimes" à la télévision et condamnée à cinq ans de prison. La peine a depuis été aménagée en liberté surveillée, mais la journaliste n’est pas autorisée à se rendre à l’étranger pour recevoir les soins que requiert son état de santé.


Les journalistes-citoyens et les blogueurs, qui ont essayé de reprendre le flambeau de l’information libre, sont devenus l’une des cibles privilégiées du système dit de “résidence surveillée dans un endroit désigné” qui institutionnalise l’enlèvement, la détention au secret et la torture des activistes. Le blogueur Wu Gan, 44 ans, a été condamné à huit ans de prison pour avoir dénoncé la corruption du pouvoir. Le journaliste-citoyen Lu Yuyu, 38 ans, qui documentait les mouvements sociaux, a lui écopé de quatre ans de prison. Le journaliste Zhen Jianghua, 32 ans, fondateur du site anti-censure Across The Great FireWall, reste pour sa part enfermé au secret.


Mauvais traitements


Si le régime n’applique plus la peine de mort à l’encontre des défenseurs de la liberté de la presse, il pratique en revanche les mauvais traitements à grande échelle. L’an dernier, le prix Nobel de la paix et prix RSF Liu Xiaobo, et le blogueur Yang Tongyan, sont tous deux morts des suites de cancers non-soignés durant leur détention.


En 2014, l’éditeur hong-kongais Yiu Mantin (Yao Wentian), 75 ans à ce jour, était condamné en dépit de son âge et de sa santé fragile à dix ans de prison pour avoir voulu publier un livre à charge sur Xi Jinping. La même année, l’éditeur suédois Gui Minhai, 53 ans, qui préparait des révélations sur les maîtresses du président, était enlevé en Thaïlande et reste à ce jour détenu et empêché de recevoir des soins alors qu’il est atteint d’une maladie neurologique grave.


Les observateurs s’inquiètent aussi pour la vie de Huang Qi, 54 ans, prix RSF 2004 et fondateur du site 64 Tianwang, prix RSF 2016, en détention provisoire depuis plus d’un an;pour celle du journaliste citoyen Ilham Tohti, 48 ans, prix Sakharov 2016, condamné à la prison à vie ; celle du journaliste Liu Feiyue, 47 ans, fondateur du site d’information sur les droits humains Civil Rights and Livelihood Watch ; et celle de Liu Xia, 56 ans, veuve de prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, à l’isolement depuis plus de huit ans.


L’internet sous surveillance


Les journalistes et blogueurs mis au pas, le président Xi s’attaque désormais au dernier niveau de circulation de l’information libre: les réseaux sociaux et les logiciels de messagerie. En 2017, l’autorité de régulation du web a interdit aux journalistes de citer des informations provenant des réseaux sociaux, si celles-ci n’ont pas été “confirmées” au préalable par le gouvernement.


Le régime a aussi instauré la fermeture graduelle des services VPN étrangers, qui permettent de contourner la “grande muraille numérique”, et interdit les commentaires anonymes sur internet. La surveillance de la toile menace désormais directement chacun des 770 millions d’internautes chinois: plusieurs d’entre eux ont déjà écopé de peines de prison ferme pour de simples commentaires privés.


Dans une tribune publiée en sept langues, le secrétaire général de RSF Christophe Deloire appelait récemment les démocraties parlementaires à se mobiliser face au risque de contagion du ”nouvel ordre de l’information” chinois, que Pékin cherche activement à promouvoir hors de ses frontières. La Chine occupe le bas du classement RSF de la liberté de la presse (176e sur 180 pays).

Publié le
Updated on 14.02.2018