Cinq ans sans Anna Politkovskaïa: “Plus que jamais, il faut redoubler d’efforts et de vigilance”

Cinq ans après, la lumière n’est toujours pas faite sur l’assassinat d’Anna Politkovskaïa (Анна Политковская), et l’ombre menaçante de ce crime irrésolu plane toujours sur ceux qui se battent pour une Russie plus juste et la fin des violences dans le Caucase. Des développements encourageants ont récemment relancé l’espoir de voir enfin l’impunité cesser dans cette affaire. Mais le plus dur reste encore à faire: la justice va devoir faire preuve de courage et d’une grande détermination pour parvenir à identifier les commanditaires de l’assassinat. Le 7 octobre 2006, la correspondante du journal indépendant Novaïa Gazeta était abattue dans sa cage d’escalier de la rue Lesnaïa, à Moscou. Elle était célèbre, en Russie comme à l’étranger, pour ses reportages sans concession sur le Caucase et ses positions critiques vis-à-vis du Kremlin. La manifestation de la vérité sur cette affaire extrêmement sensible a été entravée pendant de longues années. Ouvert deux ans après la mort d’Anna Politkovskaïa, le premier procès de ses assassins présumés est entaché par de nombreuses irrégularités et se conclut le 19 février 2009 par l’acquittement de trois accusés sur quatre, “faute de preuves”. Le procès est rouvert suite à l’intervention de la Cour suprême de Russie, mais l’affaire est scindée en plusieurs dossiers et un complément d’enquête est longtemps refusé. La fuite à l’étranger du tireur présumé, Roustam Makhmoudov, rendue possible par des complicités au sein de l’administration, renforce le sentiment d’impunité. L’arrestation de ce dernier au domicile de ses parents en Tchétchénie, en mai 2011, constitue un tournant. Le 23 août 2011, le lieutenant-colonel à la retraite de la police de Moscou, Dmitry Pavlioutchenkov, est interpellé sous l’accusation d’être l’organisateur du crime. Il aurait recruté un commando chargé de filer et d’abattre la journaliste, et aurait fourni l’arme du crime. Le lendemain, le porte-parole du comité d‘enquête, Vladimir Markine, annonce même que la justice dispose “d’informations sur le commanditaire présumé”. Mais pour l’heure, son identité n’a pas été révélée. Ces avancées témoignent-elles enfin d’une véritable volonté politique de mettre fin à l’impunité des assassins et agresseurs de journalistes en Russie? Malheureusement, force est de constater que la justice n’a progressé jusqu’à maintenant que sous la pression de l’enquête menée en parallèle par Novaïa Gazeta. L’identification des commanditaires, dont certains appartiennent sans doute aux services de sécurité russes ou tchétchènes, exigera une toute autre détermination. Si la condamnation des assassins de Stanislav Markelov et d’Anastasia Babourova, en mai 2011, a enfoncé un premier coin dans l’impunité générale prévalant en Russie, tout reste encore à faire. Au moins 26 journalistes ont été tués en Russie du fait de leur activité professionnelle depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000 (voir ci-dessous le visuel de la campagne menée par Reporters sans frontières dans les médias russes en septembre 2011). Dans le Caucase russe, notamment, journalistes et défenseurs des droits de l’homme sont en première ligne. L’assassinat d’Anna Politkovskaïa, tout comme celui de sa collègue et directrice du centre de l’ONG Memorial à Grozny, Natalia Estemirova, ont largement contribué à sceller le climat de peur et d’auto-censure en Tchétchénie. Comme le confiait récemment le président de Memorial Oleg Orlov au journal Dosh, “(les simples citoyens) nous disent, et c’est en partie vrai : ‘Vous aussi on vous tue, vous n’êtes pas en mesure de vous défendre vous-mêmes, comment pourriez-vous nous défendre ?’ “ Si la promesse du président Dmitri Medvedev de s’attaquer à l’impunité des agresseurs de journalistes a fait long feu, le candidat à sa succession, Vladimir Poutine, “prédateur de la liberté de la presse” qui avait jugé l’influence d’Anna Politkovskaïa sur l’opinion russe “extrêmement insignifiante”, n’a pas pris la peine de s’engager en ce sens. Le moment n’est donc pas venu de crier victoire. Plus que jamais, il convient au contraire de redoubler d’efforts et de vigilance, afin que la justice ne s’arrête pas en si bon chemin et remonte, quoi qu’il en coûte, aux véritables responsables de ce crime. "Informer tue" - Contre l'impunité en Russie:
Publié le
Updated on 20.01.2016