Chasse sans merci à l’information indépendante, au delà des frontières

Reporters sans frontières condamne la politique d'opacité du gouvernement rwandais qui s'accompagne de pressions et actes d’intimidation intolérables envers des journalistes, dans le but d’étouffer la liberté de l’information et d’occulter tout reportage indépendant sur le pays. Ce harcèlement s’exerce aussi bien à l’encontre des journalistes rwandais, qui font les frais de la répression depuis des années, que de journalistes étrangers, notamment ougandais. "Le gouvernement rwandais répond souvent aux accusations de blocage d’information en se victimisant et en déclarant que des groupes de la communauté internationale mal intentionnés fustigent avec acharnement le pays, et mènent secrètement une campagne que les autorités de Kigali ont nommé "Blame Rwanda". Il faut que le président Kagame comprenne qu'il est possible de critiquer son régime avec des arguments légitimes sans remettre en cause les fondements même de l'Etat rwandais. Comment son pays pourrait-il reconstruire des liens sociaux quand il est interdit d'aborder tout sujet un tant soit peu sensible? Une véritable politique de réconciliation doit permettre l’expression de toutes les voix, celles critiques également, et c’est au Président Kagame de l’amorcer. Il est important, pour le développement à long terme du Rwanda, que le régime s'ouvre à la liberté d'information", déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières. Le samedi 15 mars, Steve Terrill, journaliste freelance américain, s’est vu refuser l’accès au territoire rwandais alors qu'il se rendait à Kigali couvrir pour Al Jazeera et The Christian Science Monitor les commémorations des 20 ans du génocide de 1994. Arrivé à Kigali, il a été empêché d’entrer dans le pays puis retenu plusieurs heures sans pouvoir téléphoner, avant d’être mis dans un avion à destination d’Addis Abeba. Les journalistes américains n’ont, selon les règles rwandaises, pas besoin de visas pour entrer travailler au Rwanda. Steve Terrill avait été en contact avec le Haut Conseil des Médias (Media High Council) quelques mois plus tôt, qui avait donné son accord de principe pour l’accréditation du journaliste. Le gouvernement rwandais n’a pas donné de raison officielle à cette expulsion mais il a néanmoins tweeté un article concernant une ancienne affaire judiciaire dont le journaliste avait été exonéré. Cet acte n'est que le dernier d'une série d'intimidations visant tout journaliste osant questionner la politique du Rwanda. La journaliste de Radio France Internationale (RFI), ancienne correspondante à Kigali - elle en avait été expulsée en juin 2006 - Sonia Rolley, fait ainsi l'objet depuis plusieurs mois de harcèlement sur Twitter de la part d'un personnage œuvrant sous le nom de Richard Goldston, supposé proche de la présidence rwandaise. Dans un fil de conversation impliquant Goldston et Steve Terrill, qui demandait que Goldston cesse “ce harcèlement misogyne de Rolley”, quelqu'un a répondu depuis le compte officiel du président Kagame. On pouvait ainsi penser, suite à ce cafouillage sur Twitter, que l'auteur de harcèlement n’œuvrait pas très loin des cercles du pouvoir. Fait confirmé par la présidence rwandaise qui a tweeté que “@RichardGoldston était un compte non autorisé administré par un employé de la présidence”, “un staff junior” (ayant la possibilité d’accéder au compte twitter du Président de la République !), tout en refusant de donner son nom et de préciser quelle action avait été prise à son égard. Steve Terrill avait d’ailleurs écrit à la Présidence rwandaise quelques mois plus tôt pour la prévenir que l’appartenance de @RichardGoldston au gouvernement ne faisait aucun doute, mais son email était resté sans réponse. Depuis cette controverse, de nombreux journalistes ont été bloqués du compte Twitter officiel de Kagame. Le harcèlement des acteurs de l’information s’étend aux pays voisins. Plusieurs journalistes ougandais qui ont traité de sujets en lien avec le Rwanda ont récemment été visés par d’inquiétantes menaces de la part des autorités rwandaises agissant notamment par le biais de leurs services de renseignement et de sécurité à l’étranger. Quatre journalistes du Daily Monitor qui ont traité de sujets en lien avec le Rwanda, sont actuellement victimes de graves intimidations allant jusqu’à des menaces d’élimination. Ils sont accusés par les médias d’Etat et par les services de renseignement rwandais de collaborer avec le Congrès National Rwandais (Rwanda National Congress - RNC) et de faire la propagande de ces dissidents rwandais en exil. Le 18 février 2014, le billet d’un blogueur connu pour ses provocations controversées identifiait néanmoins nominalement trois journalistes du Daily Monitor qui se trouveraient dans la ligne de mire des services de renseignements extérieurs rwandais, agissant avec la complicité de responsables du journal et d’un ancien journaliste du Monitor proche de la présidence rwandaise. Quelques jours plus tôt, le 10 février 2014, un journal pro gouvernemental rwandais, The New Times, publiait un article intitulé “le co-fondateur du RNC et le groupe du général rwandais rénégat Kayumba Nyamwasa utilisent des journalistes ougandais à des fins de propagande” mettant en avant le lien établi par le gouvernement rwandais entre certains journalistes ougandais et le RNC. Le 14 février 2014, Ivan Okuda, journaliste freelance pour le Daily Monitor, a été contraint par sa direction à présenter des excuses publiques. Il avait publié sur sa page Facebook des propos virulents visant le président rwandais Paul Kagame dans l’affaire de l’assassinat de Patrick Karegeya en Afrique du Sud, ancien proche du régime de Kigali devenu l'un de ses plus farouches opposants. Plusieurs autres journalistes ougandais ont rapporté à Reporters sans frontières être régulièrement la cible de sérieuses menaces émanant des autorités rwandaises. Andrew Muhanguzi, le frère d'un journaliste rwandais exilé, rédacteur du site d’information Umuvugizi qui vit aujourd'hui en Suède, est porté disparu depuis le 16 février 2014, jour où il a été arrêté à Kampala par des hommes se présentant comme des policiers ougandais. Depuis, la police ougandaise déclare ne pas avoir de trace de son arrestation. Depuis une conférence de presse, le 18 juin 2013, Tom Malaba, journaliste expérimenté travaillant actuellement pour une agence d’informations en ligne, l’Ugandan Radio Network, dit être continuellement suivi et affirme que son domicile a été attaqué une fois pendant la nuit. Lors de ladite conférence, il avait confronté l’Ambassadeur du Rwanda en Ouganda, Frank Mugambage, à des allégations le mettant à la tête d’un commando du gouvernement rwandais chassant les exilés rwandais en Ouganda, provoquant une réaction de vive colère chez ce dernier. Les médias internationaux n’échappent pas au harcèlement mené par les autorités rwandaises à l’encontre de la presse en Ouganda. Un correspondant d’un média international en Ouganda a été contraint de quitter le pays en novembre 2013 pour des raisons de sécurité, ayant reçu d’inquiétantes menaces de la part d’agents des services de renseignement rwandais le laissant craindre pour sa vie. Si le Rwanda fait depuis longtemps office d'enfant chéri de la communauté internationale qui apprécie la stabilité du pays et ses avancées économiques, il demeure un pays extrêmement fermé, soumis entièrement à la férule de son Président, Paul Kagame. Véritable prédateur de la liberté de l’information qui ne tolère aucune voix dissidente, il use volontiers de la rhétorique anti-génocidaire pour justifier les politiques totalitaires de sa présidence et viole régulièrement les droits de l'homme de sa propre population. Deux journalistes rwandais ont été tués en moins de deux ans, entre 2010, année des élections présidentielles, et 2011. De nombreuses violations de la liberté de la presse, allant des menaces à des arrestations en passant par des agressions de journalistes, ont également été observées pendant cette période au Rwanda, qui s’est progressivement vidé de ses journalistes. Le journaliste rwandais Charles Ingabire, éditeur du site Internet Inyenyerinews.org et très critiques vis-à-vis des autorités rwandaises, a été assassiné dans la nuit du 30 novembre 2011 à Kampala où il était réfugié depuis 2007. A ce jour, il n’y a pas de rapport de police sur l’enquête de meurtre qui avait été ouverte. Près d’un an plus tôt, le 24 juin 2010, le rédacteur en chef adjoint du bimensuel Umuvugizi, Jean-Léonard Rugambage avait été tué par quatre balles à bout portant, devant son domicile de Kigali. La décision de la justice le 15 septembre 2011 de condamner un des deux coupables présumés de ce meurtre à dix ans de prison et d’innocenter le second avait laissé Reporters sans frontières très sceptique. Le Rwanda se trouve à la 162e place, sur 180 pays, du classement mondial de la liberté de la presse 2014, établi par Reporters sans frontières.
Publié le
Updated on 20.01.2016