Cap-Vert : les poursuites contre trois journalistes enquêtant sur un meurtre qui impliquerait un ministre doivent être abandonnées
Après la publication d’articles sur une affaire de meurtre datant de 2014 dans laquelle l’actuel ministre de l’Intérieur du Cap-Vert serait impliqué, trois journalistes et leurs journaux sont accusés d’avoir violé le secret de l’instruction. Reporters sans frontières (RSF) demande l'arrêt de ces poursuites qui constituent une entrave à l'exercice du journalisme et à la manifestation de la vérité.
Herminio Silves, Daniel Almeida et Alexandre Semedo risquent jusqu’à deux ans de prison. Le 26 janvier dernier, Herminio Silves, rédacteur en chef du site d’information Santiago Magazine, a été formellement accusé par un procureur d'avoir violé le secret de l'instruction pour avoir publié un article le 28 décembre 2021 à propos d’une enquête en cours sur l’actuel l'actuel ministre de l’Intérieur Paul Rocha, pour son implication présumée dans le meurtre d’un Cap-verdien en 2014. Cette personne était elle-même suspectée du meurtre de la mère d’un inspecteur de police la même année dans une affaire de trafic de drogues. A cette époque, Paul Rocha était directeur adjoint de la police judiciaire.
Le 4 février, après un article sur le même sujet publié le 12 janvier dans l’hebdomadaire renommé A Nação, Alexandre Semedo, directeur de publication et Daniel Almeida, journaliste, ont connu le même sort. Les autorités cap-verdiennes ont ouvert des enquêtes sur les trois journalistes et leurs médias, estimant qu’ils avaient divulgué des informations jugées confidentielles sur l’affaire. Ils sont actuellement considérés comme “arguidos”, un statut intermédiaire entre celui de témoin assisté et celui de mis en examen qui peut entraîner une arrestation. Depuis, les journalistes ont interdiction de se prononcer sur l’affaire et restent dans le viseur des autorités.
“Dans un pays comme le Cap-Vert, d’ordinaire relativement épargné en matière d’atteintes à la liberté de la presse, le fait que des journalistes risquent d'être arrêtés et détenus pour leurs articles est inédit et très inquiétant, déclare Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique de l’Ouest de RSF. Nous dénonçons une tentative d’intimidation perpétrée sur des journalistes qui n’ont fait rien d’autre que d’informer sur une affaire impliquant un haut responsable politique. Nous appelons les autorités à mettre fin à ces poursuites au plus vite et à laisser les journalistes faire leur travail en toute liberté.”
Craintes d’avoir été mis sur écoute
Contactés par RSF, Herminio Silves et Daniel Almeida ont partagé leurs craintes d’avoir été mis sur écoute. Les trois journalistes sont également contraints d’avertir les autorités s’ils quittent leur lieu de résidence pendant plus de cinq jours ou s’ils changent de numéro de téléphone.
Joint par notre organisation, Silvino Fernandes, l’avocat d’Herminio Silves, a déploré le caractère inédit de la situation : “c’est la première fois qu’une accusation portée à l’encontre de journalistes est soutenue par le ministère public lui-même”. Les conclusions des enquêtes ouvertes sur les journalistes devraient être rendues au cours de ce mois. Pour le moment, aucune date n’a été définie pour leur procès. Selon Silvino Fernandes, les autorités pourraient être tentées de faire durer la procédure et de retarder leur décision pour dissuader d'autres journalistes d'enquêter sur l'affaire impliquant l'actuel ministre de l'Intérieur.
Le Cap-Vert occupe la 27e position sur 180 dans le dernier Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2021.