Canada - RSF scandalisée d’apprendre la mise sous surveillance de 6 nouveaux journalistes par la police au Québec

Reporters sans frontières (RSF) est scandalisée d’apprendre qu’au moins six journalistes ont été surveillés par la police de la province du Québec en 2013. Cette révélation survient seulement quelques jours après celle de la mise sous surveillance d’un journaliste du quotidien La Presse, Patrick Lagacé, dont les communications et la localisation ont été scrutées par la police de Montréal depuis début 2016.

Trois journalistes de Radio-Canada, Marie-Maude Denis, Isabelle Richer et Alain Gravel, ainsi que le journaliste du Journal de Montréal en charge des affaires criminelles, Eric Thibault, et le correspondant à l’Assemblée nationale du journal La Presse, Denis Lassard, ont tous été surveillés par la police de la province du Québec, la Sûreté du Québec (SQ), en 2013 dans le cadre d’une enquête sur des fuites d’informations aux médias. L’identité d’un sixième journaliste également mis sous surveillance n’a pas encore été révélée. Ces personnes ont été mises au courant de la situation par des sources anonymes.


Ces surveillances ont été décidées dans le cadre d'une enquête anti-corruption contre Michel Arsenault, ancien président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ). Michel Arsenault a porté plainte contre la SQ en 2013 après que des informations sur cette enquête ont été révélées dans la presse. La police du Québec a alors entrepris de surveiller les communications téléphoniques de plusieurs journalistes dans l’espoir de trouver l'origine des fuites en interne.


Selon la SQ, cette affaire a été clôturée en 2014 et ses éléments ont été mis sous scellés. Depuis, de nouvelles personnes ont pris leurs fonctions et un nouveau protocole a été mis en place au sein de cette force de police. « Cette affaire a été gérée par l’ancienne administration », a ainsi affirmé à des journalistes le porte-parole de la SQ, Capitaine Guy Lapointe. « Toute enquête visant un journaliste doit [désormais] être autorisée par la direction de la SQ, et tout mandat entrant dans le cadre d’une telle enquête doit être approuvé par le directeur en personne. »


« En l’espace d’une semaine, nous avons découvert deux scandales de surveillance de journalistes de la part la police au Québec, c’est absolument scandaleux », a déclaré Delphine Halgand, directrice du bureau de RSF à Washington. « S’il s’avère que cette pratique est aussi répandue que ça en a l’air, cela signifie qu’il y a de graves manquements au respect de la liberté de la presse et à l’indépendance des journalistes au Canada, l’une des plus éminentes démocraties au monde. »


« Une source nous a révélé aujourd’hui que nous avons été visés par ce mandat en 2013, et peut-être même avant, a réagi Isabelle Richer. Nous avons peut-être été espionnés pendant longtemps. Nous ne le savons pas car ces mandats sont toujours sous scellés. »



Marie-Maude Denis a de son côté estimé que, « d’après les informations en notre possession, il s’agit d’une pratique répandue ».



Alain Gravel a indiqué que cette nouvelle avait été un « choc » pour lui. « Dans une société démocratique comme la nôtre, on ne peut pas imaginer qu’une telle chose puisse arriver, d’autant plus de manière si systématique. C’est la deuxième révélation de ce genre en une semaine. Nous sommes très inquiets. »


Cette nouvelle révélation s’ajoute à une série de violations de la liberté de la presse ces derniers mois au Canada. Lundi, RSF a appris que le téléphone portable de Patrick Lagacé, journaliste au quotidien québécois La Presse, avait été mis sous surveillance par le service de police de la ville de Montréal (SPVM) afin d’identifier ses sources.


En septembre, l’ordinateur de Michaël Nguyen, journaliste au Journal de Montréal, a été saisi lors d’une perquisition menée par la SQ, afin d’établir comment le reporter avait obtenu certaines informations dites “confidentielles”. Cette saisie faisait suite à une plainte du Conseil de la magistrature après la publication d’un article sur le comportement agressif d’une juge.


En mars, la Cour supérieur de l’Ontario a ordonné à un journaliste de VICE News de remettre l’intégralité de ses communications avec un présumé terroriste de l’organisation de l’Etat islamique à la Gendarmerie royale du Canada (GRC). RSF ainsi que plusieurs organisations canadiennes de défense de la liberté de la presse soutiennent le pourvoi en appel de VICE contre cette décision.


Le Canada est 18ème sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse que RSF a publié en 2016, après avoir chuté de 10 places en 2015.


IMAGE CREDIT : EVA HAMBACH / AFP

Publié le
Updated on 04.11.2016