Bélarus : des médias étrangers privés d’accréditation après l’arrestation massive de journalistes
Plus de 60 journalistes ont été arrêtés depuis jeudi soir et une vingtaine ont perdu leur accréditation dans le pays. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une intimidation injustifiable des journalistes pour museler la presse et réclame l’arrêt définitif de la répression des médias.
A la veille d’une manifestation de grande ampleur pour la tenue de nouvelles élections, samedi 29 août, le ministère des Affaires étrangères a annulé les accréditations de 19 journalistes de médias étrangers. Parmi eux figurent les agences de presse AFP, Associated Press, Reuters ainsi que les chaînes britanniques BBC, allemande ARD et américaine Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL).
Les forces de l’ordre ont visé spécifiquement les journalistes dès jeudi soir : une cinquantaine d’entre eux ont été arrêtés en l’espace de quelques heures à Minsk. Une première vague d’arrestations a eu lieu vers 18h sur la place Svoboda, alors que des reporters s’y étaient rassemblés en avance pour couvrir une manifestation. Ils sont une vingtaine à avoir été embarqués puis conduits à un poste de police. Moins de deux heures plus tard, une dizaine de journalistes présents sur la place de l’Indépendance ont dû eux aussi monter dans un bus et éteindre leur téléphone.
La journaliste de BelaPan Tatsiana Karavenkova a dû être transportée en urgence à l’hôpital après une augmentation soudaine de sa tension artérielle lorsqu’elle était au poste de police. La chaîne biélorusse en exil Belsat compte pas moins de cinq arrestations dans ses rangs, dont Maksim Harchanok, qui a passé la nuit en détention et n’a été relâché que le lendemain. Dans le sud-ouest du pays, à Brest, un journaliste du média indépendant Tut.by Stanislau Korshunou a lui aussi été arrêté lors d’un reportage sur une pétition pour le départ d'un député.
Les médias étrangers n’ont pas été épargnés. A Minsk, l’ambassadrice de Suède au Bélarus Christina Johannesson est venue en personne s’inquiéter du sort du journaliste suédois Paul Hansen devant le poste de police du district d'Oktyabrskiy. Le lauréat du prix World Press Photo of the Year 2012 a été libéré, mais a dû quitter le Bélarus, où il est désormais interdit de territoire pendant cinq ans. Plusieurs journalistes de la BBC, de Radio Svaboda, le service biélorusse de RFE/RL ou encore le journaliste de l’Agence France-Presse Sergei Gapon figurent également parmi les détenus ainsi qu’une équipe de tournage de la chaîne allemande ZDF - le producteur Yuri Rylov et le cameraman Sergei Tkachenko.
La plupart des journalistes arrêtés ont été relâchés aussitôt leur documents vérifiés. Mais beaucoup ont vu leur matériel confisqué. Ceux qui ont refusé de donner leur appareils photo ou téléphones ont été maintenus en détention. Il s’agit notamment des journalistes de Belsat Katsiaryna Andreyeva et Maksim Harchanok, du photographe Aliaksandr Vasiukovich et du journaliste de Nastoyachee Vremia, chaîne TV issue de la collaboration entre RFE/RL et Voice of America, Andrei Yarashevich. Ils ont été libérés vendredi après-midi, le tribunal ayant reporté l’examen de leurs affaires. Après cette répression massive, onze autres journalistes ont été arrêtés samedi 29 et dimanche 30 août, la plupart rapidement relâchés.
“Empêcher les médias étrangers de travailler et intimider les journalistes par leur détention arbitraire et massive ne résoudra pas la crise politique actuelle, souligne la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale, Jeanne Cavelier. RSF demande aux autorités biélorusses, qui tentent de créer un vide informationnel, l’arrêt des poursuites contre les professionnels de l’information, la restitution immédiate du matériel confisqué et le respect de l’article 198 du Code pénal qui punit le délit d’obstruction à l’activité des journalistes.”
Après une semaine seulement de répit, les arrestations avaient repris vendredi 21 et samedi 22 août avec la détention de deux journalistes qui couvraient des manifestations et l’expulsion de deux correspondants du service russe de RFE/RL. Dirigé depuis 1994 par Alexandre Loukachenko, qui organise sa réélection tous les cinq ans dès le premier tour, le Bélarus occupe la 153e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2020 de RSF.