Aucune preuve, trois ans de prison: un jeune journaliste tchétchène condamné en appel
Reporters sans frontières (RSF) dénonce la condamnation en appel du journaliste Jalaoudi Guériev à trois ans de prison, le 28 décembre 2016. Malgré un dossier toujours aussi vide, la Cour suprême de Tchétchénie a entièrement confirmé le verdict initial, sur la base d’accusations de “détention de drogue” montées de toutes pièces.
Il n’y a pas eu de miracle : le 28 décembre, la Cour suprême de Tchétchénie a reconnu Jalaoudi Guériev coupable de “détention de drogue” et confirmé sa condamnation à trois ans de prison. Tout comme le tribunal du district de Chali près de quatre mois plus tôt, elle a fondé sa décision sur des “aveux” extorqués au journaliste sous la menace et sur lesquels il était rapidement revenu.
Officiellement, le jeune collaborateur du site d’information indépendant Kavkazsky Ouzel aurait été arrêté en possession de plus de 150 grammes de cannabis qu’il s’apprêtait à fumer. Mais les contradictions et vices de procédure abondent tout au long du dossier. Les témoignages produits par la défense ont été systématiquement ignorés. Ils confirmaient que le jeune homme avait été enlevé par trois hommes en civil, dans le minibus qui devait l’emmener à Grozny, d’où il devait se rendre à Moscou pour des raisons professionnelles. Jalaoudi Guériev a raconté à l’audience que ses ravisseurs l’avaient emmené dans les bois, frappé, torturé et interrogé, avant de lui confisquer son sac à dos et de l’emmener au cimetière du village de Kourtchaloï, où il est passé aux “aveux” et a été arrêté.
Aucune preuve de la culpabilité du journaliste n’a été apportée lors du procès en appel. Par trois fois, les plaintes de Jalaoudi Guériev contre le traitement dont il avait fait l’objet ont été classées sans suite avant d’être examinées. Son avocat, Alaoudi Moussaïev, a annoncé son intention de faire appel auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
“Rien ne justifie la condamnation de Jalaoudi Guériev, si ce n’est une volonté de le punir pour ses activités journalistiques, dénonce Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF. Nous réitérons notre appel à réparer cette injustice et à l’innocenter au plus vite. Il est temps que la communauté internationale se souvienne de la Tchétchénie, livrée à la fuite en avant répressive de Ramzan Kadyrov.”
Le journalisme indépendant est quasiment éradiqué en Tchétchénie, république autonome russe traumatisée par deux guerres sanglantes et dirigée d’une main de fer depuis 2007 par Ramzan Kadyrov. L’impunité des assassins de la célèbre journaliste et défenseuse des droits de l’homme Natalia Estemirova, abattue en 2009, a renforcé le climat de peur qui règne dans la région. Une situation documentée par RSF dans plusieurs rapports d’enquête, dont le dernier est paru en 2011. Les tout derniers journalistes qui se risquent encore à passer outre l’unanimisme officiel et l’enthousiasme obligatoire subissent menaces, avertissements et pressions sur leurs proches.
Le harcèlement des voix critiques s’est encore brutalement accentué depuis un an : le moindre propos sur les réseaux sociaux est désormais susceptible d’entraîner les pires conséquences. Ramzan Kadyrov pointe régulièrement du doigt les journalistes indépendants et l’opposition libérale russe comme autant de “traîtres” et d’“ennemis du peuple”.
La Russie occupe la 148e place sur 180 au Classement mondial 2016 de la liberté de la presse, établi par RSF.