Alors que le photographe Cevdet Kiliçlar a été inhumé, des journalistes à bord de la flotille humanitaire témoignent

Le chargé de presse de la Fondation d’aide humanitaire IHH, Cevdet Kiliçlar, tué d’une balle dans la tête le 31 mai dernier, au début de l’assaut du Mavi Marmara, a été enterré le 4 juin, à Istanbul. Diplômé du département de communication de l’université Marmara d’Istanbul, il avait collaboré avec des périodiques islamistes tels que ‘Selam’ (Salut), ‘Vakit’ (Temps) et ‘Milli Gazete’ (Journal National). Travaillant pour ce dernier journal, il avait fait la demande d’une carte de presse officielle, dite ‘la carte de presse jaune’. Dernièrement, il avait travaillé en tant qu’éditeur du site de la fondation IHH, en charge d’établir les relations avec les médias. Il a été tué à bout portant par des soldats israéliens, le 31 mai 2010. Le Syndicat turc des Journalistes (TGS) a protesté contre ce qui peut être qualifié de meurtre et a demandé l’ouverture d’une enquête afin de déterminer les circonstances de la mort du journaliste. Alors que tous les journalistes détenus par les autorités israéliennes ont été expulsés, les témoignages se multiplient. Mediha Olgun (journaliste turque du quotidien Sabah) : « J’ai été libérée 72 heures après le début de l’opération militaire. Forcée de rentrer dans des cabines, ils m’ont intégralement fouillée. Ils ont coupé les talons de mes chaussures pour voir si je ne cachais rien. Ils ont ainsi retrouvé les doubles des images que nous avions ainsi conservés. Ils ont saisi mon ordinateur portable, mon appareil photo, mon portable. Tout ce que j’ai pu sauver, c’est mon passeport. Ils ont aussi pris nos photos. » Ayse Sarioglu (journaliste turque du quotidien Taraf) : « J’ai été terrifiée lorsque j’ai vu Kiliçlar à terre. C’est là que j’ai pleuré…Ils ont vraiment tout fouillé ! Du bateau, on nous a dirigés vers un hangar du port d’Ashdod, où nous avons été interrogés. J’ai été humiliée par un agent homme, alors que la fonctionnaire femme était, elle, très polie. Lors de l’interrogatoire, il m’a craché dessus, me traitant d’idiote. On m’a même tiré la langue. Je n’en croyais pas mes yeux, c’était tellement inhumain ! On nous a accusés d’avoir approché de 10 miles le territoire israélien. J’ai répondu qu’on était à 70 miles et dans les eaux internationales. ‘Vous saviez que Gaza était interdite.’ Alors j’ai dit ‘Oui, mais ce n’est pas moi qui ai choisi de venir ici. Je suis journaliste et c’est mon travail.’ ‘Peu importe que vous soyez journaliste, vous avez enfreint une règle.’ Ils m’ont demandé de signer un procès-verbal mais j’ai refusé, demandant un traducteur de l’ambassade turque. ‘Que vous signiez ou pas, vous serez extradée.’ Nous avons été fouillés très minutieusement, entre les orteils, dans les cheveux, aux gencives, sous la langue, etc. On nous a emmenés à la prison de Beer Sheva. Encore questionnée, on m’a demandé si je faisais partie du Hamas ou d’Al-Qaida. On m’a également demandé s’il y avait des Palestiniens dans ma famille. J’ai pu appeler et parler avec ma famille pendant une minute seulement et en anglais. Le lendemain après-midi, on a été mis en contact avec des responsables de l’ambassade turque. On a passé une deuxième nuit dans une cellule de la prison. Et le matin, à 6h00, on nous a réveillés, distribué nos passeports et transférés en bus à l’aéroport Ben Gourion… » Erhan Sevenler (journaliste turc de l’agence semi-officielle Anatolie-AA) : « Lorsque nous avons appris la présence des bateaux militaires et d’un sous-marin aux alentours, on a commencé à prendre des mesures. Tous les journalistes se sont rassemblés à l’arrière du bateau pour filmer ce qui allait se passer. Vers 4h00 du matin, 15 à 20 zodiacs ont encerclé le bateau. Très rapidement, un hélicoptère a fait descendre des commandos au haut de la cabine de contrôle. Lorsque je me suis précipité dans cette direction, les personnes dans le bateau ont attrapé un soldat. Jusque-là, je croyais que les balles utilisées étaient en plastique. Mais à partir de ce moment-là, j’ai compris qu’il s’agissait de balles réelles. Les vitres de la cabine de contrôle ont explosé sous l’impact des balles. Alors, les journalistes se sont réfugiés dans le bureau réservé à la presse. » Yücel Velioglu (journaliste turc de l’agence AA) : « Trois portes menaient au bureau des journalistes, dont deux étaient fermées. Les soldats savaient comment entrer dans le bureau, on le leur avait clairement expliqué. Mais ils ont fait exprès de démolir l’une des deux portes fermées. Nous avions nos appareils photo autour du cou et nos cartes de presse à la main, mais les soldats pointaient sans cesse vers nos yeux les lasers de leurs armes à feu pour nous intimider… Cela a duré près de 45 minutes. » Marcello Faraggi, journaliste italien, directeur d’une maison de production basée à Bruxelles. A bord bateau cargo Eleftheri Mesogeios ("La mer Méditerranée libre") de la flotte humanitaire à destination de Gaza, il faisait un reportage pour la chaîne Euronews. Interrogé par Reporters sans frontières, il raconte ce qu’il a vécu : « Quand nous sommes partis d’Athènes, j’étais sur le bateau passager, le "Sfendoni". Une fois arrivés à Rhodes, je suis monté sur le cargo chargé de l’aide humanitaire, le Eleftheri Mesogeios, battant pavillons grec et suédois. On était 29 personnes à bord, parmi lesquelles deux autres journalistes : Mario Damolin pour la Frankfurter Allgemeine Zeitung et Maria Psara, une journaliste grecque travaillant pour un journal proche du parti socialiste grec. Etaient également présentes des personnalités grecques et suédoises, notamment le romancier Henning Mankel. Le lundi 31 mai à 4h30 du matin, l’armée israélienne est intervenue alors que nous étions encore dans les eaux internationales. Des hélicoptères ont lâché des bombes de fumée. Plusieurs zodiacs sans lumière ont commencé à circuler entre les bateaux de la flottille. On se serait cru au cinéma, mais c’était réel. Comme dans une guerre. Puis j’ai entendu quelqu’un crier: « Ils tirent de vraies balles. Pas uniquement des bombes de fumées ! de vraies balles !!! » Le Marmara a toutefois repris sa course. A 6h30, alors que le soleil se levait, un bateau de l’armée israélienne nous a encerclés. Des haut-parleurs hurlaient que nous devions nous rendre, que nous mettions en danger la sécurité du bateau. Des zodiacs n’arrêtaient pas de nous tourner autour. Des soldats sont montés sur le cargo. Alors que nous étions rassemblés dans la cabine du capitaine, ils nous ont demandé de nous rendre. La plupart d’entre nous ont accepté. Ceux qui ont refusé ont été frappés par les soldats, visés par les fusils lasers et menottés à l’aide de cordelettes en plastique. Pendant tout ce temps-là, j’ai continué à filmer. Quand les soldats m’ont vu, m’ont arraché caméra des mains, l’ont confisquée, ainsi que les cassettes que j’avais sur moi. On m’a dit: « Au port, on vous la rendra. » J’avais beau dire que j’étais journaliste, j’avais beau leur montrer ma carte de presse internationale, cela ne changeait rien. Après avoir été brièvement interrogés dans le bureau du capitaine, nous - les trois journalistes - avons rejoint les autres passagers, rassemblés sur le pont du bateau. Les soldats nous ont alors confisqué nos passeports. Le bateau a fait route vers Ashdod. Nous avons mis près de dix heures à arriver. Tous sur le pont, comme des animaux. A notre arrivée au port d’Ashdod, vers 15h30, il y avait un monde fou. Beaucoup de militaires nous filmaient à notre descente du bateau. On se serait cru au zoo. Lorsque j’ai montré ma carte de presse, on m’a rendu une cassette d’enregistrement. Placés dans des bus, nous avons été conduits vers un espace où il y avait beaucoup de tentes. Les militaires m’ont demandé alors de me déshabiller. On m’a confisqué d’autre matériel. Nous étions 5 ou 6 à nous déshabiller en même temps, humiliant. J’ai refusé de me soumettre à la visite médicale. On m’a ensuite demandé de signer un document rédigé en anglais. Etant italien, j’ai demandé à pouvoir avoir ce document traduit en italien. On m’a ri au nez. On nous a ensuite placés dans un fourgon prévu pour le transfert des détenus. Nous avons attendu, entassés les uns sur les autres pendant plus d’une heure, en plein soleil, sans air conditionné. A la nuit seulement, l’armée nous a transférés à Beer Sheva, où nous avons été à nouveau fouillés à notre arrivée. On nous a donné quelques légumes crus, un peu d’eau à boire, des bouts de savon et capsules de shampoing. Aucun moyen d’appeler un avocat ou de contacter nos ambassades respectives. Des représentants des ambassades sont venus le mardi après-midi. Mais c’était au moment où nous devions être présentés devant un juge ! Tout le monde était dans la même pièce, sorte d’immense hangar. C’était tellement bruyant ! Le mercredi matin, nous avons été transférés vers l’aéroport Ben Gourion. Dans le bus, un journaliste tchèque voulait aller aux toilettes. Un soldat lui a ri au nez. J’ai essayé d’intervenir parce que j’avais une carte de presse internationale sur moi, mais en vain. A bord de l’avion, on nous a forcés à signer un document rédigé en anglais dans lequel nous reconnaissions être entrés illégalement sur le territoire israélien. On m’a alors rendu mon passeport. Mais j’ai vu que certains n’ont récupéré qu’une photocopie. Alors que nous étions montés vers 13h30 dans l’avion, nous n’avons décollé que vers minuit. Pendant tout ce temps, les rumeurs allaient bon train, notamment sur le fait qu’un journaliste italien avait été frappé par des soldats. Nous avons alors été expulsés vers Istanbul. A notre arrivée vers 2h30 du matin le jeudi, on nous a dit que nos bagages étaient arrivés. J’ai trouvé le sac de ma caméra scellé. Aussi ai-je demandé à des agents de l’aéroport de l’ouvrir pour qu’ils soiet témoins de ce que j’allais trouver : le sac était plein de vieux vêtements et de détritus. Ma caméra ? Elle n’était pas dedans. Hier, le 8 juin 2010, je suis allé à la police de Bruxelles pour porter plainte pour vol avec violence. J’ai perdu pour plus de 20 000 euros de matériel dans cette affaire. J’étais à bord de ce bateau non comme militant, mais comme journaliste. J’étais à bord pour faire mon travail. Les soldats israéliens se sont rendus coupables d’un véritable acte de piraterie. Aujourdhui, le chef de la police m’a appelé, disant que l’agent avait eu tord hier d’enregistrer la plainte, dans la mesure où l’Etat belge ne pouvait rien faire. Toutefois, il m’a dit que vu que j’avais reçu copie du dépôt de ma plainte, avec un numéro d’enregistrement, la police allait quand même transférer le PV au procureur “à titre d’information”. » Photos prises par Marcello Faraggi:






Reporters sans frontières a appris que Surya Fachrizal, journaliste indonésien du magazine Hidayatullah, avait été blessé par balle au torse par des soldats israéliens, le 31 mai 2010, lors de l’assaut sur la flottille humanitaire à destination de Gaza. Il est actuellement hospitalisé en Jordanie.
Publié le
Updated on 20.01.2016