Affaires Brad Will et Roberto Mora : "Les autorités fédérales choisissent la voie de l'impunité", selon Reporters sans frontières

Reporters sans frontières exprime sa colère au vu du traitement réservé par le ministère fédéral de la Justice à la récente recommandation de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH) concernant l'affaire Brad Will (lire le communiqué du 2 octobre 2008). Non seulement le ministère n'a pas tenu compte des graves irrégularités dans l'enquête sur l'assassinat du cameraman américain d'Indymedia, mais mais un juge a annoncé, le 22 octobre, l'inculpation et le prochain jugement d'un sympathisant de l'Assemblée populaire des peuples d'Oaxaca (APPO) actuellement détenu, et de deux autres remis en liberté sous caution. Sept autres militants de l'APPO sont sous le coup d'un mandat d'arrêt. Toutes ces personnes avaient été identifiées comme témoins dans cette affaire. “La manœuvre politique est visible et elle risque d'aboutir à un scandale judiciaire retentissant, deux ans après la mort de Brad Will. Après une enquête tronquée au niveau local, uniquement destinée à laver le gouverneur Ulises Ruiz et ses plus proches collaborateurs de toute responsabilité dans la mort du journaliste, le ministère fédéral de la Justice tente de sauver grossièrement les autorités d'Oaxaca en désavouant la CNDH. Croit-il décemment que la lutte contre l'impunité y gagnera ? N'y aurait-il d'alternative qu'entre l'impunité et l'injustice ? Ce dénouement probable de l'affaire n'est pas sans rappeler la manière dont la Cour suprême de justice de la nation (SCJN), la plus haute institution judiciaire du pays, a épargné le gouverneur de l'État de Puebla, Mario Marín, dans le grave contentieux qui opposait ce dernier à Lydia Cacho (lire le communiqué du 30 novembre 2007). Les graves manquements constatés dans l'enquête sur la mort de Brad Will font également écho à ceux de l'affaire Roberto Mora García. Dans ce dernier cas, la Commission En Memoria, à laquelle Reporters sans frontières a participé, rend aujourd'hui publiques les conclusions d'une mission effectuée dans l'État de Tamaulipas. Ses conclusions n'incitent guère à l'optimisme”, a déclaré l'organisation. Transmise le 26 septembre au ministère fédéral de la Justice et au gouvernement de l'État d'Oaxaca, la recommandation 50/2008 de la CNDH mettait clairement en cause les alliés du gouverneur Ulises Ruiz dans l'assassinat de Brad Will, le 27 octobre 2006, au plus fort d'une grave crise politique et sociale qui avait fait dix-huit morts et plus de trois cents blessés. Le gouvernement de l'État a d'abord dénoncé la recommandation avant de changer d'avis, le 16 octobre. Six jours plus tard, le ministère fédéral de la Justice a miraculeusement annoncé la détention de Juan Manuel Martínez Moreno et d'Octavio Pérez Pérez, respectivement pour “assassinat” et “complicité”. Octavio Pérez Pérez a été libéré sous caution le lendemain Les deux hommes militaient à l'époque des faits au sein de l'APPO, dont Brad Will couvrait les manifestations contre le gouvernement d'Oaxaca lorsqu'il a été tué. Sept autres militants de l'APPO sont visés par la procédure. Des organisations de défense des droits de l'homme ont manifesté leurs craintes, partagées par Reporters sans frontières, pour l'intégrité physique du détenu Juan Manuel Martínez Moreno. Les procédés d'enquête - preuves maquillées, autopsie arrangée, fabrication de “coupables évidents” - dénoncés par la CNDH dans l'affaire Brad Will, ressemblent à ceux qui ont prévalu après l'assassinat, le 19 mars 2004, de Roberto Mora García (voir les communiqués), directeur éditorial du quotidien El Mañana à Nuevo Laredo (État de Tamaulipas, Nord-Est). Un nouvelle mission a été consacrée à ce dossier les 25 et 26 août dernier par plusieurs organisations - dont Reporters sans frontières - réunies au sein de la Commission En Memoria. Les conclusions de l'enquête, présentées aujourd'hui même à Mexico D.F, soulignent les efforts déployés par les autorités pour exclure tout mobile professionnel dans cet assassinat, alors que la victime enquêtait sur des sujets sensibles dans une région dominée par le cartel du Golfe. Le document rendu public souligne également comment la police de l'État a rapidement conclu à la culpabilité de Mario Medina Vázquez, 23 ans, et de son compagnon Hiram Oliveros Ortiz, 28 ans, qui vivaient dans la même maison que Roberto Mora García. Le premier a été assassiné en prison le 13 mai 2004, le second est toujours détenu. Reporters sans frontières demande aux autorités locales et fédérales compétentes d'enquêter et de rendre justice en s'appuyant sur les preuves et les faits rapportés dans les affaires mentionnées, de prendre en compte les observations de la CNDH, et d'agir en reconnaissant les erreurs commises et en effectuant des recherches efficaces qui ne laissent aucun espace à l'impunité.
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Updated on 20.01.2016