Algérie : Ihsane El Kadi, un verdict démesuré et choquant

L’injustice manifeste qui a marqué le traitement infligé au patron de presse Ihsane El Kadi dès son arrestation nocturne et durant toute la procédure judiciaire vient d’être confirmée, ce dimanche 2 avril 2023, par sa condamnation à cinq ans de prison par le tribunal de Sidi M'hamed à Alger. Une peine d’autant plus démesurée et absurde qu’elle repose sur un dossier vide.

Le tribunal de Sidi M’hamed a prononcé sa sentence ce dimanche 2 avril. Le directeur de Radio M et de Maghreb Emergent est condamné à cinq ans de prison, dont trois ans ferme.  assortie d’une amende de 700.000 dinars algérien (4.800 euros environ). Le tribunal a également prononcé la dissolution de la société Interface Médias, qui regroupe les deux médias dirigés par Ihsane El Kadi, la confiscation de tous ses biens saisis, et dix millions de dinars d'amende (plus de 68.000 euros) contre son entreprise. Interface a qui plus est, été condamnée à dédommager l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (ARAV ) à hauteur de un million de dinars (6.800 euros). 

​​Le parquet avait requis le 26 mars dernier cinq ans de prison ferme contre Ihsane El Kadi qui était poursuivi au titre de l'article 95 bis du Code pénal. Ce texte prévoit une peine de prison de cinq à sept ans pour “quiconque reçoit des fonds, un don ou un avantage... pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l'Etat, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l'unité nationale, à l'intégrité territoriale, aux intérêts". 

“Ce verdict totalement démesuré est la suite logique de la dénégation de justice dont est victime, depuis son arrestation, Ihsane El Kadi. Cette décision prise contre un courageux journaliste et patron de presse qui a continué, contre vents et marées, à exercer son métier librement, choque à juste titre une grande partie de la profession des journalistes. Ce verdict est d’autant plus inacceptable que le dossier de l’accusation s’est avéré vide et sans preuves. Notre solidarité avec Ihsane El Kadi est totale et nous espérons que la procédure en appel donne à la justice algérienne l’occasion de se ressaisir et de rétablir le respect des libertés fondamentales, dont celui du droit à un procès juste et équitable.

Khaled Drareni
Représentant de RSF en Afrique du Nord

Les charges officiellement retenues contre Ihsane El Kadi ont été battues en brèche par le collectif de défense, qui a souligné que le dossier de l’accusation était vide et que le seul tort du journaliste était  est d’exercer sa profession librement. Une vacuité du dossier que RSF n’avait pas manqué de relever, en demandant l’abandon des charges fallacieuses retenues contre le journaliste et sa libération immédiate. “Il n’y a aucun document dans le dossier judiciaire attestant que Ihsane El Kadi ou Interface médias aient reçu des fonds d’organismes étrangers ou d’une personne étrangère”, a assuré Me Zoubida Assoul à RSF. Selon elle, l’accusation ne s’appuie en fait que sur une somme de 25 000 livres sterling (soit 28 000 euros), envoyée à Ihsane El Kadi par sa fille, actionnaire du groupe Interface Médias, depuis la Grande-Bretagne, où elle réside. Cette somme était destinée au paiement des salaires des journalistes et employés du groupe, qui se trouvait alors en difficulté financière. 

Face à une procédure jugée illégale - dont celle d’une réunion de la chambre d’accusation en l’absence des avocats - et dans un contexte de pression politique dénoncé par ses avocats, Ihsane El Kadi a décidé d’observer le silence en l’absence, selon lui, des garanties nécessaires à un procès équitable.  

Le directeur de Radio M et du site Maghreb Émergent aété arrêté le 24 décembre à son domicile, et placé en détention préventive après quatre jours de garde à vue.  

RSF qui mène une campagne internationale active en vue de sa libération a saisi en urgence la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression ainsi que le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, réuni  16 patrons de rédactions dont le prix Nobel de la paix Dmitri Mouratov pour demander sa libération et la fin des entraves contre les médias qu’il dirige. A la veille de l’énoncé du verdict, les équipes de RSF sont également allés déposer 13 milles enveloppes devant l’ambassade d’Algérie pour symboliser les 13.000 signatures recueillies par la pétition #FreeIhsaneElKadi 

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