Pakistan : le journaliste Ahmad Noorani poursuivi pour une enquête sur l’ancien chef d’État-major des armées

Fondateur du site internet Fact Focus, le journaliste est poursuivi au Pakistan pour “évasion fiscale” sur la base d’éléments de preuve peu crédibles. Face à l’inconsistance juridique totale du dossier, Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités pakistanaises d’abandonner l’ensemble des procédures qui le visent.

Trois ans derrière les barreaux… C’est la peine que risque Ahmad Noorani, journaliste co-fondateur du média d’investigation en ligne Fact focus pour avoir simplement exercé son métier. Résidant actuellement aux Etats-Unis, il est en effet la cible d’une information judiciaire lancée contre lui le 15 décembre 2022 par l’Agence fédérale d’enquête (FIA) ainsi que l'Office fédéral du fisc (FBR), pour des accusations présumées “d’évasion fiscale”, de “diffusion illégale” de documents fiscaux confidentiels et, avec son confrère Shahid Aslam, de “complicité” dans la diffusion de ces mêmes documents. 

Basé aux Etats-Unis, Ahmad Noorani a été placé sous le statut d’"Ishtehari" (“proclaimed offender”, en anglais), un terme ourdou qui désigne une présomption de culpabilité par contumace - sans possibilité de se défendre devant un juge. Selon la fiche d’accusation, dont RSF a pu consulter une copie, les deux agences, qui dépendent du gouvernement, invoquent l’article 5 (2) de la Loi de prévention de la corruption de 1947 (PCA, 1947), l’article 4 de la Loi de prévention des délits en ligne de 2016 (PECA, 2016) ainsi que l’article 109 du Code pénal pakistanais (PPC).

Accusations fantoches

La temporalité est importante dans cette affaire : l’information judiciaire a été opportunément lancée après la publication, sur Fact Focus, d’une enquête révélant l’enrichissement éclair de l’ancien chef d’Etat major des armées du Pakistan, le général Qamar Bajwa, qui a quitté son poste fin 2022.



Au même moment, RSF avait d’ailleurs fermement condamné le blocage du site Fact Focus, qui s’était clairement apparenté à l’époque à un acte de censure visant à préserver une figure centrale de l’institution militaire, véritable État dans l’État au Pakistan, parfaitement intouchable.

“Ne soyons pas dupes : les accusations fantoches de fraude fiscale portées contre Ahmad Noorani ne reposent sur aucune preuve crédible apportée par l’accusation. Face à l'inconsistance juridique du dossier, nous appelons le parquet pakistanais à classer immédiatement cette affaire sans suite. Il en va de la crédibilité de l’Etat de droit dans le pays.

Daniel Bastard
Responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF

Pour Ahmad Noorani, la cause des accusations qui le visent ne fait aucun mystère : “Je suis puni parce que j’ai pratiqué mon métier de journaliste, déplore-t-il. Ce genre de manoeuvre vise également à envoyer un message à l’ensemble de la profession : ‘ne cherchez pas à publier la moindre enquête impliquant des officiels du gouvernement’.”



Ce n’est pas la première fois que le journaliste et son entourage sont directement visés par des attaques visant à l’intimider. En octobre 2017, Ahmad Noorani avait déjà échappé à la mort à la suite d’une embuscade tendue par six hommes armés de couteaux dans les rues d’Islamabad. En novembre 2021, sa propre femme, Ambreen Fatima, a été attaquée et menacée de mort en compagnie de ses enfants par un homme armé d’une barre de fer mentionnant le métier de son époux.

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