Le Parlement irakien tente à nouveau de faire passer en force un projet de loi contre la cybercriminalité et un autre sur la liberté d’expression et le droit de manifester pacifiquement, qui s’avèrent être de réelles menaces pour la liberté d’informer. Reporters sans frontières (RSF) alerte sur les ambiguïtés de ces deux lois, qui légitiment les restrictions sur les libertés de la presse et menacent d'empiéter encore plus sur le travail des journalistes en Irak.

"Ces projets de loi sont un cheval de Troie menant à une répression contre la liberté de la presse en Irak, déclare le responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, Jonathan Dagher. Nous demandons au Parlement de prendre en compte les demandes d’amendements des organisations de société civile irakiennes pour s'assurer qu’elles servent leur véritable objectif, plutôt que d’en faire des outils pour faire taire les journalistes.” 

Avec chaque nouvelle majorité, la loi contre la cybercriminalité, la loi pour la liberté d’expression et le droit de manifester pacifiquement refont surface et le débat reprend à zéro, réduisant à néant tout progrès déjà réalisé par les mandats parlementaires précédents pour les adapter aux normes démocratiques. Le projet de loi contre la cybercriminalité a ainsi été de nouveau présenté au Parlement irakien le 21 novembre dernier et fait depuis  l'objet de discussions.

Ce projet de loi qui prétend lutter contre la cybercriminalité et réguler les cyberespaces irakien inquiète les journalistes et organisations locales de défense de la presse. Les termes de la loi menacent, de façon tantôt imprécise, tantôt explicite, de réprimer les journalistes et la liberté de la presse. L'article 8, par exemple, prévoit des peines allant de 7 à 10 ans de prison et des amendes d’au moins 10 millions de dinars irakiens (soit plus de 6 500 euros) pour toute personne utilisant le cyberespace “dans l'intention de porter atteinte aux valeurs et principes religieux, familiaux ou sociaux”.  La terminologie imprécise laisse le champ libre aux différents acteurs politiques et religieux de museler certaines prises de positions. Les peines et amendes proposées par le projet de loi sont souvent démesurées, avec une dizaine de violations passibles d’une condamnation à perpétuité. 

En parallèle, un deuxième projet de loi a été présenté le 3 décembre dernier pour, officiellement renforcer la liberté d’expression et le droit de manifester pacifiquement. Or, alors que la liberté d’opinion et d’expression sont garanties par l’article 38 de la Constitution de l’Irak, ce projet de loi, là encore en raison de termes vagues et ambigus pouvant être sujet à interprétation et donc à la manipulation par les autorités, reformule et contredit ce cadre constitutionnel plutôt que d’étendre son applicabilité.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement essaie de faire passer ces lois, régulièrement remises à l’ordre du jour depuis 2011. En avril 2012, RSF avait qualifié le projet de loi contre la cybercriminalité de “liberticide". À chaque nouvelle présentation de ces projets devant le parlement, des propositions d’amendements sont soumises par des organisations de société civiles afin de supprimer les ambiguïtés et éliminer leurs caractères excessivement punitifs. Mais après chaque élection, les progrès obtenus sont oubliés, et le parlement reprend la discussion depuis le début. 

“L'objectif de ces projets de lois est de nous occuper à lutter contre elles, affirme le responsable de l’Association de défense de la liberté de la presse en Irak, Mustafa Nasser, à RSF. Les autorités savent qu'elles sont en train de perdre leur légitimité, alors elles s'en prennent à la liberté de la presse.” 



La résurgence de ces projets de loi s’inscrit dans le contexte d’une forte recrudescence, en 2022, des violations contre les journalistes. En pratique, ceux-ci se voient régulièrement entravés dans l'exercice de leur métier, par exemple avec l’interdiction de pénétrer dans les bâtiments scolaires décrétée le 28 novembre par le directeur général de l'éducation du gouvernorat de Maysan, dans le sud-est du pays. Le 26 novembre dernier, le photojournaliste d’Irak Fox Ali Kazem Al-Karimawi a reçu des coups de matraques de la part de la police anti-émeute lors de sa couverture de manifestations à Kadhimiya, un quartier de Bagdad.

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