Dix ans de guerre à Donetsk et Louhansk : disparition du journalisme indépendant et prolifération des médias de propagande russes

Portraits d’habitants saluant leur quotidien sous occupation russe, articles sur l’essor économique depuis l’annexion illégale... Le prisme de couverture de l’actualité locale des régions de Donetsk, Louhansk, Kherson et Marioupol, occupées par la Russie, par Novoe.Media (“Le nouveau média”) ne laisse aucun doute : le média en ligne lancé le 11 avril dernier diffuse chaque jour le narratif du Kremlin auprès des populations de l’est et du sud-est de l’Ukraine. 

Novoe.Media s'ajoute ainsi à la longue liste des médias de propagande russe qui contrôlent le paysage médiatique de ces régions depuis 2014. Fondé par le “Centre national culturel Action”, une association financée par des agences gouvernementales russes, Novoe.Media regroupera à terme une vingtaine de rédactions locales. À la tête de l’équipe éditoriale : Larisa Ryzhova, une blogueuse et propagandiste russe qui gère la chaîne Telegram pro-Kremlin Dorogaya Hurma, et compte plus de 140 000 abonnés. 

Occupation de l’espace informationnel

Dès 2019, la “république populaire de Louhansk” comptait plus de 200 médias sous contrôle russe sur son territoire et la “république populaire de Donetsk”, une trentaine. Les “autorités locales” ont aussi fait main basse sur des médias ukrainiens pré-existants, à l’image de la chaîne de télévision Union TV transformée depuis 2014 en relais de la propagande russe. 

L’occupation de l’espace informationnel s’est intensifiée depuis l’invasion russe du 24 février 2022. Des médias de la Fédération de Russie se sont aussi officiellement installés à Donetsk et Louhansk, comme le groupe de radio-télévision d’État VGTRK qui a ouvert une filiale à Donetsk en septembre 2023. Certaines de ces chaînes sont accessibles sur les territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien, entre 20 et 50 kilomètres au-delà de la ligne de front.

Arrestations et départs de journalistes

Des reporters locaux refusant de collaborer avec les médias pro-Kremlin ont été arrêtés. C’est le cas de Stanislav Asseïev, correspondant ukrainien pour le média américain Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), enlevé en 2017 à Donetsk pour “espionnage”. Torturé et détenu pendant près de deux ans, il a été libéré lors d’un échange de prisonniers en 2019. En janvier 2024, son tortionnaire a finalement été condamné à 15 ans de prison par la justice ukrainienne.

Certains médias locaux ont décidé de s’installer ailleurs en Ukraine. La rédaction de Realna Gazeta, auparavant basée à Louhansk, a fui la ville en juillet 2014. Désormais enregistrée à Kyiv, elle continue de traiter l’actualité de l’est de l’Ukraine occupée depuis dix ans, grâce aux informations provenant de sources locales. L’invasion russe de 2022 a toutefois accru la pression sur les habitants de ces régions, limitant les informations relayées à l’extérieur. 

La Russie renforce sa mainmise informationnelle dans les régions ukrainiennes occupées avec l’ouverture d’écoles de “journalisme” et le développement de médias pro-Kremlin. Pour lutter contre la propagande et apporter une information fiable et indépendante, RSF a lancé en mars 2024 le bouquet satellitaire Svoboda qui diffuse des contenus de médias indépendants aux publics russophones, notamment dans les territoires occupés d’Ukraine.