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Afrique
2014 - Afrique

EN AFRIQUE DE L’OUEST, CONFLITS ET MENACES TERRORISTES FRAGILISENT LA PRESSE

L’engagement au service de la liberté d’information implique de prendre des risques nouveaux et difficilement calculables, dans des conflits dont les paramètres ont changé. Les chutes très lourdes du Mali et de la République centrafricaine dans le classement illustrent cette corrélation négative entre conflit et liberté d’information.

L’information et son contrôle ont bien sûr toujours été des enjeux stratégiques. Les putschistes du capitaine Sanogo à Bamako n’ont-ils pas eu pour première action de prendre possession de l’Office de la radiotélévision malienne ?

L’arrivée des nouvelles technologies a permis à l’information de « s’échapper » des organes traditionnels tels que la presse ou la radio, multipliant le nombre et le type d’acteurs de l’information sur le terrain. Les conflits sur le continent africain se sont également diffractés. Ils ne se limitent plus à un affrontement entre deux armées mais prennent la forme de conflits infra-étatiques ou de guerre dite « asymétrique » où des groupuscules s’opposent à des armées (plus ou moins) constituées, ou à d’autres groupuscules. En parallèle, la menace terroriste croît du fait de groupes aux revendications politiques, certains instrumentalisant les conflits pour en retirer un gain économique, comme en témoignent les guerres intestines pour le contrôle des gisements miniers à l’est de la République démocratique du Congo.

Ces dangers diffus impactent la circulation de l’information. En raison de l’insécurité, les journalistes sont confrontés à des difficultés croissantes pour accéder au terrain des opérations. Ainsi, au moment de l’opération Serval au Mali,plusieurs reporters ont choisi d’embarquer à bord de convois militaires se rendant sur la ligne de front afin de ne pas laisser la communication sur cette guerre à la seule armée française. Reste que ces conditions particulières de reportage donnent alors une couverture partielle des événements sur le terrain, depuis un point de vue spécifique.

Les nouveaux acteurs des conflits, notamment les groupes terroristes, ne se sentent pas tenus par les conventions de Genève protégeant les civils, dont les journalistes, en temps de conflit. Au contraire, dans un contexte de « guerre de l’information », ces derniers sont devenus des cibles privilégiées.

Ainsi, le groupe terroriste islamique Al-Shabaab qui sévit en Somalie n’a cessé de s’en prendre à ces témoins gênants. Dans ce pays d’Afrique le plus meurtrier pour les journalistes, sept d’entre eux ont perdu la vie depuis le début 2013. En 2012, dix-huit sont morts au cours d’attaques terroristes. La menace à Mogadiscio est telle que certains médias en sont venus à loger leurs journalistes dans leurs locaux afin de leur éviter de circuler en ville. N’est-ce pas une opération de terreur réussie lorsque les journalistes ne peuvent même plus aller librement au contact de l’information ?

Autre caractéristique de ces guérillas : elles ne se résolvent pas. Les cessez-le-feu ne sont pas signés ou pas respectés. S’installent alors durablement des situations de non-droit, où des groupes variés alternent au pouvoir. Dans la mesure où la « guerre » n’est pas résolue, le contrôle des médias continue d’être un objectif stratégique. La liberté de l’information paie alors le prix fort.

Depuis sa prise, à l’hiver 2012, de certains territoires du Nord-Kivu en République démocratique du Congo, le groupe armé M23 a imposé une relecture de tous les journaux avant leur diffusion, menaçant de mort les directeurs de radio qui publiaient des informations allant à leur encontre.

Cette instabilité constante crée un pouvoir fragilisé, se sentant facilement menacé. La situation en Centrafrique en novembre en constitue un exemple flagrant. Les anciens putschistes tentent une normalisation alors que les hommes de la coalition qui les a portés au pouvoir, la Séléka, ne désarment pas, et que les soutiens à l’ancien président Bozizé ont pris les armes. À Bangui, un général à la tête de la puissante police politique du pouvoir a personnellement interrogé et menacé un journaliste pour un article évoquant un remaniement ministériel.

Cet acharnement témoigne néanmoins de l’immense contre-pouvoir que les journalistes continuent à incarner. Ils donnent à voir et à entendre, ils ordonnent des bribes d’information pour créer un sens accessible à tous et conservent toute leur importance, en temps de guerre plus que jamais.

 

LA CORNE DE L’AFRIQUE CONTINUE SA DESCENTE AUX ENFERS

 

La Corne de l’Afrique est en proie à une pauvreté et à un autoritarisme inégalés sur le continent. Les libertés individuelles en sont les victimes collatérales.

 

Éthiopie post-Zenawi : une libéralisation manquée

 

La mort en août 2012 du Premier ministre Meles Zenawi et la nomination de Hailémariam Dessalegn avaient laissé espérer une période d’ouverture politique et sociale bénéfique à la liberté de l’information. Las. La loi antiterroriste liberticide de 2009 pèse toujours comme une épée de Damoclès et pousse les acteurs de l’information à l’autocensure. Les médias qui osent défier l’omerta, surtout s’ils dénoncent la corruption des autorités, sont systématiquement intimidés.

À ce jour, cinq journalistes demeurent emprisonnés dans la tristement célèbre prison de Kality. Woubeshet Taye etReyot Alemu, respectivement directeur adjoint de l’hebdomadaire en langue amharique Awramba Times et éditorialiste pour l’hebdomadaire national Fitih, sont toujours derrière les barreaux, plus de deux ans après leur arrestation en juin 2011 pour « terrorisme ». L’étau autour de la presse éthiopienne ne semble pas près de se desserrer et il est peu probable que le régime laisse les critiques émerger avant l’échéance électorale de 2015.

 

Djibouti : la voix des sans-voix n’est pas entendue

 

Djibouti est un carrefour hautement stratégique de la région. Vu ses atouts économiques et politiques, il est facile de détourner les yeux de la dictature d’Ismaïl Omar Guelleh en place depuis 1999. Sous son règne, le pays s’est peu à peu fermé au monde et à la critique. La liste des journalistes emprisonnés et torturés ne cesse de s’allonger. Les libérations ne sont jamais que provisoires. En atteste le cas de l’opposant et journaliste Daher Ahmed Farah, incarcéré à cinq reprises et arrêté douze fois depuis son retour d’exil en janvier 2013.

La notion de médias indépendants est étrangère au pays. Le seul organisme de radiodiffusion national, Radio-Télévision Djibouti, se fait le porte-parole du gouvernement. Les quelques journaux d’opposition ont disparu du paysage médiatique au fil des ans.

Deux journalistes de la radio indépendante La Voix de Djibouti, qui émet depuis l’Europe, ont été emprisonnés en l’espace de douze mois.

 

Érythrée : la plus grande prison d’Afrique pour les journalistes

 

Depuis le coup de force de 2001 d’Issayas Afeworki, la suppression de toute presse privée, et l’emprisonnement de onze journalistes, dont sept sont maintenant morts en détention, l’Érythrée est la plus grande prison d’Afrique avec vingt-huit journalistes emprisonnés.

Il n’y existe pas de médias privés et les médias publics sont si étroitement surveillés qu’ils sont contraints d’occulter des pans entiers de l’histoire contemporaine, telles les révoltes des « printemps arabes ». Sans satellite ou connexion Internet, impossible d’accéder à l’information. Seules quelques radios indépendantes, comme Radio Erena, arrivent à émettre depuis l’extérieur.

 

Somalie, sous l’insécurité : l’autoritarisme

Les chantres d’une accalmie de la situation en Somalie ont vite déchanté. Dans ce contexte où terrorisme et préoccupations sécuritaires gouvernementales s’affrontent, les journalistes qui continuent de tenter de faire un travail objectif sont des cibles privilégiées. En 2013, sept journalistes ont succombé lors d’attaques terroristes attribuées ou soupçonnées d’être le fait de la milice islamiste Al-Shabaab. En novembre 2013, elle prive toute une région de télévisionen réquisitionnant les antennes satellites des villageois sous prétexte qu’elles leur donnaient accès à des images non respectueuses de l’islam. L’information en soi est perçue comme une menace.

Malheureusement, le gouvernement somalien ne rehausse pas la donne. En octobre 2013, un raid de police ordonné par le ministre de l’Intérieur expulsait Radio Shabelle, lauréate 2010 du prix RSF, de ses locaux, après une série de reportages critiquant l’insécurité croissante dans Mogadiscio. Cette expulsion, et la confiscation de tout le matériel de la radio, fait office de double peine pour ce média puisque le bâtiment servait également à loger les journalistes trop exposés pour pouvoir habiter en ville. Leur matériel leur a été rendu quelques semaines plus tard, détruit et inutilisable : ils ne peuvent plus émettre. De toute façon, ils n’en ont pas le droit. Pour enfoncer le clou, le ministère de la Communication leur en a refusé l’autorisation.

 

EN AFRIQUE CENTRALE, LA DÉGRADATION SE POURSUIT

 

En 2013, la situation de la liberté de l’information en Afrique centrale, une zone qui s’étend du littoral atlantique jusqu’à la région des Grands Lacs, continue de se dégrader.

Une accalmie se profile dans le conflit de l’est de la République démocratique du Congo où la situation des médias demeure néanmoins tendue. La République centrafricaine est toujours plongée dans les affres d’affrontements dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences. Le Tchad aux mains d’Idriss Déby s’illustre par une politique de répression à l’encontre des journalistes, tandis que le climat se durcit au Cameroun, que le Burundi fait passer des législations inquiétantes et que la Guinée équatoriale demeure un trou noir de l’information.

Cette dernière incarne peut-être la situation la plus extrême. Dans le seul pays hispanophone d’Afrique, aucune violation de la liberté de la presse n’est à déplorer en tant que telle, en raison de l’absence totale de presse ou de médias indépendants. Les journalistes sont forcés à l’autocensure ou à l’exil, l’information annihilée.

Le conflit en République centrafricaine a complètement démantelé un réseau de médias déjà affaibli et déconsidéré. En prenant fait et cause pour une partie ou l’autre au conflit, les titres de presse ont davantage participé à l’escalade des tensions qu’à une mission d’information.

Le Tchad occupe une bonne place parmi les pays autoritaires. Son dirigeant des vingt-trois dernières années a même durci le ton en 2013, emprisonnant trois journalistes pendant plusieurs mois sous des motifs fallacieux. Certes remis en liberté, ils n’ont pu reprendre une activité journalistique libre. L’un ne fait plus parler de lui, l’autre se serait rangé du côté du pouvoir, quant au troisième, menacé, il a dû quitter le pays : victoire de l’intimidation étatique qui prive peu à peu le pays de ses forces vives journalistiques.L’argument sécuritaire intervient à point nommé pour justifier le contrôle des publications ou le statu quo. Au Cameroun, le Conseil national de la communication tente par exemple de sanctionner des publications faisant état de la coopération transfrontalière avec le Nigeria dans la lutte contre Boko Haram. Au Tchad encore, c’est un directeur de journal qui est accusé d’« incitation à la révolte » pour un article sur le mécontentement de l’armée. En République démocratique du Congo, le conflit de l’Est paralyse depuis des années le reste du pays et si la réforme de la loi sur la presse est régulièrement présentée comme une priorité gouvernementale, elle n’est jamais mise à l’agenda.

Les lois sur la diffamation sont instrumentalisées pour masquer des trafics d’influence ou la corruption. L’éditeur du bimensuel Les Coulisses, Nicaise Kibel’oka, en RDC, fait ainsi, depuis plus d’un an, l’objet d’un véritable harcèlement judiciaire pour un article dénonçant la fraude des Douanes. Depuis juin 2013, son procès en appel a été reporté sept fois sans jamais se tenir, alors que la procédure a été émaillée d’irrégularités. En Angola, le livre du journaliste Rafael Marques de Morais sur les sombres dessous de l’exploitation diamantifère, Diamantes de Sangue : Corrupção e Tortura em Angola, lui a valu d’être arrêté et interrogé plusieurs fois.

Certains pays travaillent activement à durcir leur législation. Le Burundi en est le triste exemple, qui a voté en avril 2013, malgré les protestations de la société civile, une loi portant gravement atteinte à la liberté de la presse, à l’encontre de tous les standards internationaux. Celle-ci prévoit notamment une liste démesurément longue et vague de sujets risquant de mener leur auteur en prison. La nécessaire proportionnalité des sanctions, le statut des journalistes ou le respect du secret des sources n’y sont pas garantis. Cette loi est d’autant plus inquiétante qu’elle s’inscrit dans un triptyque législatif visant à restreindre la liberté d’association et d’expression politique, confirmant en cela la dérive autoritaire du gouvernement burundais, ce qui ne semble pas émouvoir outre mesure les chancelleries occidentales.

Ce cœur stratégique de l’Afrique est-il voué à sombrer encore davantage alors que ses médias sont de plus en plus empêchés ou incapables de jouer le rôle de contre-pouvoir face à des régimes durcis par leur quête insatiable de contrôle ?

 

Nord-Kivu

 

Informer au Nord-Kivu est devenu un combat quotidien. Sous administration du mouvement armé M23 ou des autorités congolaises, les journalistes sont soumis à une pression permanente. Le M23 s’est illustré par la censure totale qu’il impose, exigeant d’avoir accès aux éditions des journaux avant leur diffusion. Sous son contrôle, six médias ont été suspendus ou pillés et au moins sept journalistes blessés ou menacés. Dans les territoires sous leur contrôle, les autorités se rendent complices de menaces contre les journalistes, d’arrestations arbitraires ou d’enlèvements également, comme celui du journaliste retrouvé ligoté sur le bord d’une route à Beni en octobre 2013. Dans un pays à la justice défaillante, ces crimes n’entraînent pas de sanction. En résulte une situation d’autocensure mais également d’exil interne des journalistes qui quittent la province par dizaines. Certains continuent leur courageux travail, mais pour combien de temps encore ?