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Maghreb - Moyen-Orient
Classement RSF 2021 : Maghreb - Moyen-Orient

La Covid-19 au Moyen-Orient, énième maladie d’une presse déjà à l'agonie 

Au Moyen-Orient, dans un contexte de mécontentement populaire exacerbé par la pandémie de la Covid-19, la crise sanitaire a révélé l'état inquiétant d’une presse tuée à petit feu par des politiques répressives. La zone reste toujours aussi sombre sur la carte, avec 12 pays classés dans les zones rouge et noire du Classement, où la situation de la presse est considérée comme difficile et très grave. L’immobilisme flagrant de ces pays explique l’absence d'évolutions significatives au Classement.

Chiffres camouflés, médias condamnés à relayer les communiqués officiels... Dans les pays les plus autoritaires du Moyen-Orient, la pandémie a été l’occasion de poursuivre, voire même de renforcer des pratiques déjà existantes de musellement de la presse. L’Arabie saoudite (170e), l’Egypte (166e) et la Syrie (173e, +1) bénéficiaient déjà d’un contrôle quasi total des médias par le biais de lois très restrictives vis-à-vis de la liberté de la presse et d’organes de régulation. A la faveur de la pandémie, ces pays ont réaffirmé leur monopole de l’information. En Egypte, où la loi permet de bloquer des médias et d’emprisonner des journalistes pour “diffusion de fausses nouvelles”, le gouvernement a interdit la publication de chiffres autres que ceux fournis par le ministère de la Santé et a bloqué plus d’une trentaine de sites et de pages au plus fort de la pandémie. Aucune remise en cause du bilan officiel ou réflexion suggérant que les chiffres sont minimisés ne sont tolérées. La correspondante du Guardian Ruth Michaelson en a ainsi fait les frais en mars. Pour avoir rédigé un article citant une étude qui montrait que les chiffres avancés seraient en-deçà de la réalité, la journaliste a été purement et simplement expulsée du pays. 

Le contrôle de l’information a affecté également la Syrie, où la population a longtemps été confrontée à un véritable blackout de l'information concernant la circulation du virus. Alors que les pays voisins comme l’Iran et le Liban, qui ont des troupes déployées en Syrie, étaient déjà touchés de plein fouet par la pandémie, les médias officiels syriens ont maintenu pendant des semaines qu’aucun cas de coronavirus n'avait été enregistré sur le territoire, laissant les citoyens dans l’incertitude la plus totale. Comme en Egypte, le gouvernement a décrété que l’agence de presse officielle Sana serait la seule source d’information valable. Dans la région, le monopole de l’information est tel qu’en Arabie saoudite, le syndicat des journalistes - pourtant proche du pouvoir - a constaté une baisse d’audience des médias, les citoyens s'informant désormais directement auprès des sites officiels des autorités, sans passer par l’intermédiaire des organes d’information. 

Iran (174e, -1) : Une répression accrue à la faveur de la pandémie 

La République islamique d’Iran reste l’un des pays au monde les plus mal positionnés depuis la création du Classement RSF en 2002, en raison de la répression exercée par les autorités. Une situation qui s’est encore dégradée avec la pandémie de Covid-19, dont les autorités tentent de minimiser le bilan dans le pays. Téhéran parle ainsi officiellement de 80 000 décès liés à la pandémie, mais selon une étude indépendante, au moins 180 000 personnes sont mortes des suites de la Covid-19. Les autorités ont renforcé leur contrôle de l’information sur tous les supports traditionnels ainsi que sur internet. Elles ont multiplié les convocations, arrestations et condamnations de journalistes professionnels comme des journalistes-citoyens. Par ailleurs, l’Iran est le pays qui a exécuté le plus de journalistes ces 50 dernières années, à l’image de Rouhollah Zam, qui dirigeait la chaîne Telegram Amadnews. Reconnu coupable d’avoir joué un rôle dans les manifestations de l’hiver 2017-2018 contre la corruption et la situation économique du pays, il a été exécuté le 12 décembre  2020.

Quand une crise en cache une autre

Si, dans la région, la situation des journalistes au Liban (107e, -5) a été plus enviable pendant plusieurs années, cet état de fait est fortement remis en question. Informer librement, notamment sur la corruption, devient de plus en plus une activité à haut risque, comme l’a rappelé l’assassinat par balles, en février, du journaliste et analyste politique spécialiste du chiisme Lokman Slim. La reprise des mouvements de protestation et des manifestations, qui avaient été mis entre parenthèses pendant la période du couvre-feu dû à la pandémie, place également les journalistes en première ligne, alors que les cas d’agressions par les manifestants et les forces de l’ordre se banalisent. Ces différents éléments expliquent la chute de 5 places au Classement 2021 de RSF, ce qui représente l’une des baisses significatives de l’année.

Parallèlement, la méfiance de la population à l'égard des médias traditionnels (souvent liés à des mouvements politiques) et des élites dirigeantes s’est traduite par une augmentation de la demande d’information libre et indépendante via des sources alternatives. Le site d’information Daraj, qui avait mis en place un onglet dédié aux actualités sur la pandémie, a ainsi enregistré une hausse de près de 50 % de ses visiteurs. 

Cet engouement pour l’information indépendante est une note d’espoir pour la presse de la “Suisse du Moyen-Orient”, alors que la situation des journalistes, déjà fortement dégradée par une crise politique et économique sans précédent, s’est encore aggravée avec l’arrivée de la pandémie. Plusieurs médias ont été contraints de réduire leur personnel, voire de fermer, rejoignant ainsi la liste de ceux qui avaient déjà cessé leur activité, comme Future TV ou The Daily Star. Les journalistes se sont retrouvés dans une grande précarité. Nombre d’entre eux attendent d’ailleurs toujours le versement de leurs salaires, non versés depuis des mois. 

Un révélateur d’autoritarisme

Le droit à l’information a également été mis à l’épreuve dans d’autres pays de la région qui cherchent à étouffer les conséquences sociales de la pandémie. La multiplication des arrestations et les interdictions de publications sont venues renforcer l’arsenal de mesures restrictives déjà utilisées. Ainsi, en Jordanie (129e, -1), deux représentants de la chaîne Roya TV ont été brièvement emprisonnés en avril pour avoir diffusé un reportage dans lequel des habitants d’un quartier populaire de la capitale, Amman, se plaignaient du couvre-feu et de l'impossibilité pour eux de gagner leur vie. Alors que la pandémie a cristallisé le mécontentement et encouragé les enseignants à manifester pour demander des augmentations de salaire, les autorités ont aussi émis des interdictions de publication pour empêcher les médias et les citoyens de diffuser les images de ces rassemblements. 

Du côté de l’Irak (163e, -1), les médias, mobilisés dans la couverture des manifestations antigouvernementales au Kurdistan irakien - qui se sont intensifiées avec le gel des salaires des fonctionnaires et les différentes mesures de restrictions de déplacements - se sont vus accusés d’inciter à la rébellion et d’encourager les manifestants à l'irresponsabilité. La chaîne NRT TV a ainsi été sanctionnée par une interdiction d’émettre décrétée par le gouvernement. Quant aux journalistes indépendants, qu’ils soient sur le terrain ou  qu’ils relaient les informations via les réseaux sociaux, la répression ne les a pas épargnés. Trois d’entre eux, arrêtés en octobre 2020, viennent d'être condamnés à six ans de prison pour “atteinte à la sécurité nationale”, notamment pour des faits d’espionnage. 

Confrontés à une situation sanitaire, économique et politique échappant à leur contrôle, la plupart des Etats de la région ont ainsi cédé à un réflexe de reprise en main autoritaire. Au lieu de permettre aux médias de contribuer à la diffusion d’informations fiables et d’assumer leur rôle de quatrième pouvoir, ils ont choisi d’affaiblir encore un peu plus la liberté de la presse, déjà dans une situation peu enviable, au risque de laisser une trace durable dans le paysage médiatique.

L’information sous pression continue en Afrique du Nord

Les pressions persistantes exercées à l’encontre des journalistes et des médias en Afrique du Nord maintiennent trois pays de la région (Algérie, Maroc et Libye) dans les zones rouge et noire de la carte de la liberté de la presse en 2021, c’est-à-dire où la situation est considérée comme difficile, voire très grave pour l’exercice de la profession - alors que les citoyens de la région n’ont de cesse, depuis les révolutions de 2011, de réclamer davantage de liberté de la presse et un accès plus libre à l’information.

Arrestations arbitraires, procès à répétition, détentions provisoires sans fin, procès régulièrement reportés… Le harcèlement judiciaire des journalistes est devenu une méthode de répression récurrente dans la région. En Algérie (146e), le cas du directeur du site d’information Casbah Tribune, Khaled Drareni, également correspondant de TV5 Monde et de RSF, a révélé au grand jour l’instrumentalisation de la justice. Sa couverture du mouvement de contestation populaire du Hirak lui a valu d’être condamné en appel à deux ans de prison pour “incitation à une manifestation non autorisée” et “atteinte à la sûreté de l’Etat”. Khaled Drareni sera finalement libéré après 11 mois de prison à la suite d’une mesure de grâce présidentielle, mais ses déboires judiciaires ne sont pas terminés : son dossier doit être rejugé à l’automne. 

Le cas de Khaled Drareni n’est pas isolé. Au moins trois autres journalistes algériens payent le prix fort pour avoir fait leur travail d’information. Le correspondant de la chaîne libanaise Al-Mayadeen, Sofiane Merakchi, a purgé huit mois en prison après avoir fourni les images d’une manifestation à plusieurs chaînes de télévision étrangères. Le rédacteur en chef du quotidien régional Le Provincial à Annaba, Mustafa Bendjama, a été interrogé plus de 20 fois en raison de ses articles sur les manifestations du Hirak et a fait l’objet de poursuites dans le cadre de trois affaires judiciaires différentes liées à ses publications sur Facebook. Le journaliste correspondant du groupe de médias privé Ennahar, Ali Djamel Toubal, a lui été condamné à 15 mois de prison ferme pour avoir notamment diffusé sur les réseaux sociaux des images montrant des policiers malmener des manifestants opposés au régime. Sa condamnation s’est faite sur la base d’une nouvelle loi, adoptée en mars 2020, qui permet de criminaliser la diffusion de fausses informations portant “atteinte à l’ordre public et à la sécurité de l'Etat”.

Au  Maroc (136e, -3) voisin, quatre journalistes, Maâti  Monjib, Omar Radi, Imad Stitou et Suleiman Raissouni, considérés comme des voix critiques du pouvoir, sont aussi dans le collimateur des autorités, dont certains depuis plusieurs années. Jugés pour des affaires de mœurs ou d’atteinte à la sécurité de l’Etat sans aucun lien avec leurs activités journalistiques, ils vivent au rythme des audiences systématiquement reportées et des rejets de demandes de libération provisoire. Omar Radi et Suleiman Raissouni, en détention préventive depuis huit et 11 mois dans l'attente de leur jugement, ont ainsi présenté pas moins de 10 demandes de libération provisoire, sans succès. 

Confrontés à une justice inique et de toute évidence aux ordres du pouvoir, ces journalistes en viennent à se mettre eux-mêmes en danger en recourant à la grève de la faim pour faire valoir leur droit à un procès équitable. Suleiman Raissouni et Omar Radi ont annoncé cesser de s’alimenter les 8 et 9 avril 2021. Le journaliste franco-marocain Maâti Monjib a quant lui été remis en liberté provisoire fin mars après 19 jours de grève de la faim et trois mois de détention préventive.

Un environnement de plus en plus hostile

Les journalistes et les médias de la région d’Afrique du Nord évoluent par ailleurs dans un environnement de plus en plus complexe, voire hostile. La Tunisie (73e, -1), pourtant plutôt bien positionnée ces dernières années par rapport à ses voisins, perd une place au Classement 2021, en raison notamment de la montée du discours de haine contre les médias alimentés par les parlementaires d'extrême droite. Depuis son élection en 2019,  le chef de la coalition islamiste et populiste Al Karama, Seifeddine Makhlouf, s’en prend régulièrement aux journalistes en les agressant verbalement dans l’enceinte même de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et sur les réseaux sociaux, en les traitant de “médias de la honte”, de “menteurs” ou encore de “canailles voulant détruire le pays et la révolution”.

En  Libye (165e, -1), c’est l’impunité persistante dont bénéficie les prédateurs de la liberté de l’information dans le pays depuis une dizaine d'années qui entrave le travail journalistique et maintient le pays dans les plus mauvaises places du Classement. Le conflit armé qui divise le pays a installé, pour les acteurs des médias, un état de violence et de peur qui les contraint à faire un choix douloureux entre l’autocensure ou la propagande pour l’un des régimes qui se disputent l’Est et l’Ouest du pays.