Les démocraties de la zone Asie-Pacifique menacées par le modèle chinois de contrôle des médias
La région Asie-Pacifique abrite toujours le pire pays du monde en matière de liberté d’informer : la Corée du Nord (180e). La généralisation récente des smartphones a malheureusement été accompagnée d’un contrôle drastique des communications, comme pour l’intranet national. L’agence de presse d’Etat KCNA reste le seul organisme habilité à fournir l’information officielle, et le simple fait de consulter un média étranger peut toujours valoir un séjour en camp de concentration.
Chine : censure et surveillance accrues
Un schéma totalitaire dont se rapproche de plus en plus la Chine de Xi Jinping, qui stagne au 176e rang du classement. Sous le premier mandat du président, censure et surveillance ont atteint des niveaux inédits grâce à l’utilisation massive des nouvelles technologies. Le travail des correspondants étrangers est rendu plus difficile, et un simple citoyen risque désormais la prison pour avoir partagé des informations sur les réseaux sociaux ou une messagerie privée.
Plus de 50 journalistes professionnels et non-professionnels restent sous les verrous, souvent victimes de mauvais traitements et d’absence de soins qui laissent craindre pour leur vie : le prix Nobel de la Paix et prix RSF Liu Xiaobo et le blogueur Yang Tongyan sont ainsi morts l’an dernier des suites de cancers non soignés durant leur détention. Hors de ses frontières, Pékin cherche enfin à instaurer un “nouvel ordre médiatique mondial” sous son influence, en exportant ses méthodes répressives, son système de censure de l’information et ses outils de surveillance du Net. Cette volonté décomplexée d’écraser tout îlot de résistance citoyenne fait malheureusement des émules en Asie.
Sous influence chinoise
C’est notamment le cas au Vietnam, qui talonne la Chine dans le bas du classement (175e). Dans un pays où les médias traditionnels sont intégralement verrouillés, les journalistes-citoyens font montre d’un grand courage pour promouvoir la liberté d’informer. La réponse des autorités est devenue absolument implacable. Alors qu’un blogueur était auparavant condamné à des peines de deux ans de prison pour ses écrits, c’est aujourd’hui une dizaine d’années derrière les verrous qui attend celles et ceux qui osent aborder les sujets interdits - corruption et désastres environnementaux en tête.
Autre pays qui semble dangereusement emprunter la voie chinoise, le Cambodge (142e) enregistre l’une des baisses les plus significatives de la région (-10). Avec plus d’une trentaine d’organes de presse indépendants fermés et plusieurs journalistes détenus de façon parfaitement arbitraire, le régime du Premier ministre Hun Sen a exécuté en 2017 un plan de répression impitoyable contre la presse libre du pays. Étouffement des voix indépendantes, renforcement de son emprise sur les médias de masse, contrôle méticuleux des réseaux sociaux… Là aussi, le schéma rappelle dangereusement celui de la Chine, qui a du reste investi plusieurs millions d’euros dans les médias pro-gouvernementaux cambodgiens. L’influence du modèle chinois se fait sentir de façon similaire sur l’information en Thaïlande (140e), en Malaisie (145e) ou à Singapour (151e).
Discours de haine
L’autre baisse la plus éloquente de la zone est celle enregistrée par la Birmanie (137e, -6). Le gouvernement dirigé par Aung San Suu Kyi a perdu cette année toute crédibilité concernant ses engagements en faveur du rôle de la presse dans le fonctionnement démocratique. Les pires atteintes ont lieu depuis le début de la crise des Rohingyas, fin août 2017. Alors que la communauté internationale sait désormais que se sont déroulés des “éléments de génocide” et un “nettoyage ethnique”, pour reprendre les termes de l’ONU, il est toujours impossible de documenter cette tragédie côté birman : accès refusé par l’armée. Deux journalistes de Reuters qui ont tenté de le faire sont aujourd’hui derrière les barreaux.
La couverture de la crise des Rohingyas en Birmanie a été marquée par le développement des discours de haine relayés sur les réseaux sociaux, essentiellement sur Facebook. Tout journaliste qui ne suivrait pas le credo anti-musulman se fait violemment harceler par les extrémistes bouddhistes, ce qui a largement encouragé l’autocensure dans la profession.
Hostilité des dirigeants envers la presse libre
Cette thématique des discours de haine se retrouve chez l’autre géant du continent, l’Inde, qui perd encore deux points au classement (138e). Depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi, les milieux fondamentalistes hindous tiennent des propos d’une extrême brutalité à l’égard des journalistes. Les enquêtes qui déplaisent au parti au pouvoir ou les expressions critiques de l’idéologie de l’Hindutva, qui mêle nationalisme hindou et rhétorique fascisante, entraînent des tombereaux d’insultes et d’appels au meurtre proférés contre leurs auteurs par une armée de trolls au service du Premier ministre. Une violence verbale déchaînée mise au service d’un leader qui s’affirme comme un homme fort, et dont l’autorité - sinon l’autoritarisme - ne supporte pas d’être érodée par le travail des reporters et des éditorialistes.
Comme ailleurs dans le monde en 2017, il est arrivé que cette violence verbale se soit tragiquement transformée en violence physique. Ainsi, la journaliste Gauri Lankesh a-t-elle été froidement abattue devant son domicile en septembre, après avoir fait l’objet de discours de haine et de menaces de mort pour avoir osé dénoncer la suprématie hindoue et la condition des femmes ou des basses castes. La violence physique à l’égard des reporters explique notamment le mauvais score du pays, où au moins trois journalistes ont été assassinés en raison de leur activité professionnelle. Plus nombreux sont ceux dont on ne sait expliquer la mort, comme c’est souvent le cas en milieu rural, où les reporters travaillent dans une grande précarité. Enfin, la situation dans la vallée du Cachemire, qui reste un trou noir de l’information, plombe le score de l’Inde, qui pourrait pourtant s’appuyer sur sa longue tradition d’une presse vivace pour remonter au classement.
Aux Philippines (133e, -6), le dynamisme des médias est aussi mis à mal par la figure d’un dirigeant qui veut faire montre de sa toute-puissance sur les médias. En l’occurrence, le président Rodrigo Duterte a très tôt averti ces “fils de pute de journalistes” qu’ils ne seraient pas épargnés. Les pressions du gouvernement contre tous les médias un tant soit peu critiques à l’encontre de sa “guerre contre la drogue” sont légion. Surtout, là encore, violence verbale et violence physique sont intimement liées. Avec quatre journalistes tués pour leur métier en 2017, l’archipel fait partie des pays les plus meurtriers du continent.
Violences physiques
La grande insécurité des reporters explique aussi la difficulté du Pakistan à progresser dans le classement (139e). Menaces de mort, enlèvements, tortures… La profession est toujours piégée, sous la double menace des fondamentalistes islamiques et des tout-puissants services de renseignement.
Avec 18 journalistes ou collaborateurs des médias tués en 2017, la question des dangers qui pèsent sur la presse est autrement plus préoccupante dans l’Afghanistan voisin (118e). Le pays gagne toutefois deux places dans le classement, capitalisant notamment sur un cadre légal plus vertueux, avec la création des comités de coordination pour la sécurité des journalistes et des médias. En un an, ceux-ci ont traité une centaine de dossiers, forçant parfois de hauts responsables civils ou militaires à faire l’objet de sanctions. De même, les efforts menés par le Sri Lanka (131e) pour lutter contre l’insécurité des journalistes et l’impunité des crimes qui les visent expliquent sa hausse dans le classement (+10).
Résistance des démocraties
Même si l’environnement médiatique s’y est globalement amélioré, les pressions sur la presse durant l’élection présidentielle expliquent la légère baisse de la Mongolie (71e, -2). A l’inverse, la remontée du Japon (67e, +5) témoigne du relatif adoucissement de la pression du gouvernement nationaliste de Shinzo Abe sur les médias, bien que le poids des traditions et des intérêts économiques pèsent toujours lourd sur les journalistes. Hong Kong (70e) et Taiwan (42e) gagnent chacun trois points, en résistant à leur façon à l’influence croissante de la Chine.
La Corée du Sud (43e) enregistre pour sa part la deuxième plus forte progression de tout le Classement (+20). Après une décennie noire, l'élection du président Moon Jae-in a apporté une bouffée d’air frais, à l’image de la résolution du conflit qui opposait les journalistes à la direction de l’audiovisuel public. Des problèmes structurels restent à régler, dont la décriminalisation de la diffamation et l’abrogation de la loi sur la sécurité nationale, qui menace toujours les journalistes.
Dans le haut du classement, l’Australie stagne à la 19e position, notamment en raison de la persistance d’une grande concentration médiatique. De simples garde-fous juridiques suffisent pourtant à faire gagner quelques places. C’est le cas de la Nouvelle-Zélande (8e, +5) : en mai 2017, les autorités ont empêché une proposition de fusion entre les rédactions des deux plus grands groupes du pays, offrant par là de nouvelles garanties au pluralisme et à l’indépendance des médias. Quant au travail d’enquête, il devrait être facilité par le prochain renforcement de la loi sur la protection des lanceurs d’alerte. Un exemple à suivre.