Le gouvernement et la justice afghane doivent mettre fin à l'impunité des crimes contre les journalistes

Alors que les 5 et 8 juin ont respectivement marqué le 8e et 7e anniversaire de l’assassinat des journalistes de renom Zakia Zaki et Abdolsamad Rohani, Reporters sans frontières (RSF) condamne une nouvelle fois l’impunité dont jouissent les auteurs des exactions à l’encontre des journalistes.

En dépit des mesures encourageantes prises par le gouvernement afghan d’union nationale en faveur de la liberté de l’information, telles que la dissolution de la commission de vérification des délits des médias ou l’adoption de la loi sur l’accès à l’information, les journalistes sont de plus en plus visés par des actes de violence et d’intimidation.


Le 26 mai 2015, Haji Asheghalah Vafa, député de la province de Baghlân (nord du pays) s'en est pris violemment à Shir Mohammad Jahesh, directeur de la chaîne locale TV Tanvir : “Ta vie va prendre fin ce samedi 30 mai quand je viendrai », a proféré le parlementaire. Contacté par RSF, le journaliste, qui s’est depuis réfugié à Kaboul, avoue avoir été horrifié par la violence des propos du député. “Tout ça pour un reportage sur un commandant de la police qui avait été limogé et transféré dans une autre région», explique-t-il.


Le pacte « d'engagement pour la protection des médias et des journalistes» (litter of commitment in support of free media and journalists) du président Ashraf Ghani Ahmadzai soutenu par Abdullah Abdullah, chef de l’exécutif, est devenu le pacte du gouvernement d’union nationale, qui vise à rendre justice et à mettre fin à l’impunité, notamment en favorisant la réouverture des dossiers de journalistes assassinés ces dix dernières années.


Réouverture des dossiers des journalistes assassinés

Lors d’une réunion avec les procureurs le 30 novembre 2014, Abdul Rachid Dostom, premier vice-président, avait officiellement saisi le procureur général pour la réouverture de tous les dossiers de journalistes assassinés. Il avait également demandé la création d'une commission pour la vérification de ces cas et expressément demandé à être tenu au courant des avancées de l’enquête. “J'ai promis d’informer les journalistes à l'occasion de la journée internationale contre l'impunité des crimes contre les journalistes”. Le procureur général avait par la suite déclaré “que les dossier seraient attentivement étudiés afin que les coupables soient reconnus et punis”. Pour l’instant, aucune information sur l’avancée des enquêtes n’a été transmise par le parquet et le vice-président.


«La réouverture des dossiers des journalistes assassinés est une avancée importante du gouvernement et de la justice afghane. Si dans l’immense majorité des agressions et assassinats de journalistes, l’impunité règne, les autorités ont la responsabilité d’être les plus transparentes possibles sur l'avancée des enquêtes, déclare Reza Moini, responsable du bureau Afghanistan de RSF. N’oublions pas que l’impunité dont jouissent les auteurs d’exactions les encourage à poursuivre ces violations des droits de l’homme et de la liberté d’information. L'assassinat de journalistes afghans n’est pas seulement un crime contre la liberté d’expression mais sont à considérer comme « des crimes de guerre», qui doivent être sévèrement réprimer».


Depuis 2001, les journalistes travaillant en Afghanistan ont payé un lourd tribut. Au moins 33 professionnels des médias ont perdu la vie en raison de leur travail d’information dans le pays. Quinze journalistes étrangers ont été tués : quatre Allemands, deux Français, deux Italiens, deux Suédois, un Australien, un Canadien, un Norvégien, un Américain et un Britannique. Dans la majorité des cas, l’impunité demeure la règle.


Deux assassinats impunis

RSF continue de dénoncer cette impunité dont jouissent les auteurs des exactions à l’encontre des journalistes qui surviennent en majorité hors de la capitale. Les auteurs de l’assassinat de Zakia Zaki, directrice de la station Sada-e-Solh (Radio La Voix de la Paix) dans la province de Parwan, abattue à son domicile de plusieurs balles devant son fils de deux ans le 6 juin 2007, n'ont jamais été identifiés publiquement et punis par la justice. Aucune enquête digne de ce nom n’a été menée par les autorités.


Comme évoqué dans le rapport d’information “Election présidentielle en Afghanistan, les médias locaux en première ligne” publié par l’organisation en mars 2014 : " Selon les informations recueillies par Reporters sans frontières, les assassins étaient des proches de Gulbuddin Hekmatyar, fondateur et leader du groupe islamiste Hezb-e-Islami (HIA). Selon plusieurs sources, ce dernier avait lancé une fatwa contre la journaliste quelques mois avant son assassinat. « Si vous voulez protéger l'islam, il faut faire taire la voix de cette femme », avait déclaré le chef du groupe extrémiste et fondamentaliste islamique, allié des Talibans dans la lutte contre le gouvernement et les forces internationales d'assistance et de sécurité (FIAS). Hezb-e-Islami a des émissaires directement au sein du pouvoir. «En réalité, le premier suspect, le chef du commando impliqué dans la mort de la journaliste, a été tué, un an après cet assassinat, par les forces étrangères. Il était l'un des assaillants qui avaient attaqué une base militaire dans la région. Le gouvernement savait très bien qu'il était l'un des dirigeants locaux d'Hezb-e-Islami, mais ne savait pas qu'il était impliqué dans la mort de Zakia Zaki. Nous avons pu le déterminer lorsque nous avons retrouvé son arme sur lui. Il s'agissait de l'arme qui avait été utilisée pour assassiner la journaliste.

"En ce qui concerne les autres assaillants, deux seraient en prison pour d’autres crimes, selon un haut responsable de la police. L'ancien ministre de l'Information et de la Culture avait lui déclaré à Reporters sans frontières, le 29 septembre 2013, que les assassins avaient été punis. Ils avaient été arrêtés dans d'autres affaires. Deux d'entre eux seraient morts, et un autre serait toujours en prison, selon le ministre qui n’a pas donné plus d’explications."


Le 7 juin 2008, Abdul Samad Rohani a disparu après que son véhicule a été arrêté par des individus armés dans la banlieue de Lashkar Gah. Son corps, atteint de trois balles, a été retrouvé le lendemain. Selon le médecin légiste, le journaliste aurait été torturé avant d’être tué. Abdul Samad Rohani, 25 ans, était correspondant du service en pachtou et en persan de la BBC dans la province d’Helmand. Il collaborait également avec l’agence de presse indépendante afghane Pajhwok depuis 2004.

Lors de la cérémonie de funérailles, Danish Karokhel, directeur de Pajhwok, avait déclaré à RSF : "Pendant toute cette année, nous n’avons répété qu’une seule chose : Est-ce que dans ce pays, on peut au moins connaître l’identité des assassins de notre collègue ? Nous savons que le gouvernement afghan est trop faible pour arrêter et faire condamner les responsables. Au moins, pourrait-on espérer que les médias puissent enquêter. Tel n’a pas été le cas. Pourquoi tout le monde a-t-il tellement peur de s’intéresser à cette affaire ?"


Crimes de guerre

Déstabilisé par une guerre civile de plus en plus violente, l’Afghanistan peine à protéger ses journalistes. Les Talibans dans leurs attaques acharnées depuis le début du printemps 2015 ont ciblés directement les civils étrangers, qu'ils considérent comme «des ressortissants de pays occupants» et “collaborateurs des États”. La mission des Nation unies en Afghanistan (UNAMA) a estimé que les assassinats et agressions contre des civils avaient augmenté de 16% depuis le début de l’année 2015, en comparaison avec la même période en 2014. Georgette Gagnon, la directrice humanitaire d'UNAMA, les a qualifiés, le 31 mai 2015, de crime de guerre.


Malheureusement, une partie du pouvoir est en même temps en train de négocier la paix avec ces criminels. La majorité des journalistes tués ont été assassinés directement par les Talibans, qui poursuivent une guerre qui va à l’encontre de la volonté de paix et de démocratie du peuple afghan. L’histoire récente de ce pays montre bien que la paix sans justice est impossible.

Publié le
Updated on 09.06.2016