Un nouveau décret promulgué en Malaisie menace la notion même de vérité

Le gouvernement a rendu public un décret dit “anti-fake news” qui condamne la publication de toute information liée à la pandémie ou à l’état d’urgence en vigueur dans le pays et qui ne conviendrait pas aux autorités. Dénonçant des dispositions attentatoires à la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF) exige sa révocation immédiate.

Le processus démocratique a été bafoué. Ce jeudi 12 mars, deux mois jour pour jour après avoir décrété l’état d’urgence et interdit au parlement de siéger pour des raisons sanitaires, le gouvernement fédéral a utilisé ses pouvoirs d’exception pour promulguer un décret visant à lutter contre les “fake news”. Le texte ressemble peu ou prou à une loi controversée de 2018 dont RSF avait demandé le rejet, et qui fut finalement abrogée par le gouvernement précédent. Au motif de la lutte contre la désinformation, les autorités gouvernementales, judiciaires et policières pourront désormais exiger le retrait de toute information sur l’état d’urgence ou la covid-19 qu' elles jugent, de façon arbitraire, “totalement ou partiellement fausse”.

 

La publication de ce type de fausses informations qui, sous n’importe quelle forme, “viserait à causer ou serait susceptible de causer de la peur ou de l’inquiétude au sein du public” devient passible de trois ans de prison et de 100.000 ringgits d’amende, soit 20.000 euros.

 

En plus des personnes à l’origine de la “fake news”, tout individu impliqué dans sa diffusion, sa distribution, sa circulation, son impression ou même son financement risque également la prison. Et ce, même si ces personnes ne vivent pas en Malaisie et ne sont pas malaisiennes - le décret ayant une portée extraterritoriale.

 

Monopole de la vérité

 

“Désormais, la vérité sur la pandémie et l’état d’urgence est dictée par le gouvernement, de sorte que toute information jugée défavorable à l'exécutif pourra être menacée de disparaître par la force ou par l’autocensure, déclare le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Ce décret consacre la dérive autoritaire du gouvernement de Muhyiddin Yassin, qui s’arroge honteusement le monopole de la vérité. Nous demandons au gouvernement malaisien de révoquer ce texte, tout comme l’avait justement fait la coalition précédente avec une loi similaire.”

 

Selon le décret, la diffusion de l’information est directement soumise au bon vouloir des autorités. Ces dernières, policières ou judiciaires, peuvent exiger la suppression de tout contenu dont elles contestent la véracité (article 6). De plus, toute personne se sentant visée par une “fake news” peut saisir un juge pour demander son retrait (article 7). Ce dernier doit être effectif dans les 24 heures sous peine de lourdes sanctions financières. Le décret autorise d’ailleurs les autorités à procéder elles-mêmes au retrait de la publication.

 

Les pouvoirs de police judiciaire sont également considérablement élargis, sans aucun garde-fou. Aucun mandat d’arrêt n’est requis pour interpeller une personne suspectée d’avoir publié ou aidé à publier des informations jugées “fausses” (articles 16 et 17). La police peut également avoir accès à presque toutes ses données privées, même cryptées.

 

Pas d’appel possible

 

Seules exceptions notables à toutes ces dispositions liberticides : le gouvernement de Malaisie, la police et certains magistrats, exemptés de respecter ce décret, comme le prévoit l’article 27. De plus, les demandes de retrait de publication émanant du gouvernement ne peuvent pas faire l’objet d’une procédure d’appel.

 

En août dernier, les autorités ont déjà démontré leur volonté d’imposer leur vérité officielle sur la gestion de l'épidémie. Deux journalistes australiens travaillant pour Al-Jazeera, Drew Ambrose et Jenni Henderson, se sont vus refuser le renouvellement de leur visa pour avoir réalisé un documentaire sur des arrestations de migrants dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Les locaux de la chaîne ont également été perquisitionnés.

  

La Malaisie occupe, pour l’instant, la 101e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF. Mais l’arrivée au pouvoir de Muhyiddin Yassin en mars 2020 et la multiplication des atteintes à la liberté de la presse risquent d'affecter son score dans le classement de 2021, à paraître le mois prochain.

Publié le
Mise à jour le 17.03.2021