Ukraine : la justice tente de contraindre des journalistes à révéler leurs sources

Condition indispensable au journalisme d’investigation, le secret des sources est en danger en Ukraine. Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète d’une décision de justice obligeant les journalistes de l’émission “Skhemy” à fournir tous les documents relatifs à l’une de leurs enquêtes les plus retentissantes. Le jugement doit être examiné en appel le 5 novembre.

Leurs révélations sur les dépenses astronomiques aux Maldives de Petro Porochenko, alors président de l’Ukraine, avaient provoqué un énorme scandale en janvier 2018. Aujourd’hui, Mikhaïl Tkatch, Natalia Sedletska et les journalistes d’investigation de l’émission “Skhemy” du média américain Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL) doivent se battre pour protéger leurs sources. Leur cas pourrait être examiné en appel le 5 novembre 2019.


C’est du moins ce qu’ils espèrent, car aucun recours n’est théoriquement possible, selon la décision de justice rendue le 17 octobre. Celle-ci contraint le collectif spécialisé dans les sujets de corruption à fournir à la police tous les documents relatifs à l’enquête dans un délai d’un mois. Les journalistes, qui refusent de s’y soumettre, risquent de subir une perquisition.

“L’ingérence de la justice dans le travail des journalistes bafoue la protection des sources, pourtant garantie par le droit ukrainien et européen, dénonce le bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Cet épisode s’avère d’autant plus inquiétant qu’il semble pérenniser des pratiques apparues au cours de la récente campagne électorale. Nous appelons la justice ukrainienne à réexaminer cette décision. Nous demandons aussi aux nouvelles autorités de restreindre précisément dans la loi les exceptions admissibles au secret des sources journalistiques.”


Outre le risque de violation du secret des sources, La rédaction de “Skhemy” estime que le détail des données à fournir - jusqu’à l’emploi du temps et aux salaires des collaborateurs des journalistes - est excessif. 


Le jugement visant les journalistes a été pris dans le cadre d'une enquête pénale sur le voyage de l’ex-président “avec usage délibéré de faux documents”. Intitulée “Mr Petro Incognito”, l’émission visée raconte les vacances secrètes de Petro Porochenko aux Maldives du 1er au 8 janvier 2018, qui auraient coûté pas moins de 500 000 dollars. Cet excès avait provoqué une vague d’indignation dans le pays, l’un des plus pauvres et des plus corrompus d’Europe. Le président et ses invités auraient franchi la frontière sous de fausses identités selon les journalistes, une allégation rejetée par l’ancien président.

Ce n’est pas la première fois que “Skhemy”, également diffusée sur la chaîne publique UA:Pershyi, est la cible d’une telle procédure. Le parquet général ukrainien avait été autorisé à accéder aux données téléphoniques de sa célèbre rédactrice en chef, Natalia Sedletska, en septembre 2018.

L’Ukraine occupe aujourd’hui la 102e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse.

Publié le
Mise à jour le 31.10.2019