Thaïlande : Loi sur la diffamation et Computer Crimes Act, deux armes de dissuasion pour les journalistes

Reporters sans frontières (RSF) demande l’abandon des charges qui pèsent sur le correspondant de la BBC Jonathan Head. Accusé de diffamation et de violation de la loi sur les crimes informatiques (Computer Crimes Act), le journaliste britannique risque cinq ans de prison pour une enquête publiée en septembre 2015 sur des fraudes de propriétés privées à Phuket (sud du pays).

Formellement inculpé le 23 février 2017, le journaliste britannique Jonathan Head, également président du comité professionnel du Foreign Correspondent Club of Thailand (FCCT), a été accusé de diffamation par un avocat thaïlandais, Pratuan Thanarak, après la relayé ses propos dans le cadre d’une enquête de fraude immobilière.


La victime de cette fraude, le Britannique Ian Rance, est également poursuivi pour diffamation alors qu’aucun de ses propos relayés dans l’article - et dans la vidéo qui l’accompagne - ne concerne Pratuan Thanarak.


"Les lois sur la diffamation et les crimes informatiques sont utilisées pour harceler les journalistes et les blogueurs, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières. Leur virulence est telle qu’elles ont contraint nombre d’entre eux à quitter le pays. Les coûts d’une défense juridique sont exorbitants, voire purement prohibitifs, notamment pour des freelances ou des blogueurs, et les journalistes ne peuvent espérer être dédommagés même quand ils démontrent que les accusations dont ils font l’objet sont fallacieuses. Les lois sur la diffamation et le Computer Crimes Act doivent être urgemment réformées voire abrogées car elles permettent à tous ceux qui font l’objet d’enquêtes journalistiques sérieuses de museler la presse à moindre coût et sans cause réelle au prétexte que ces dernières ne plaisent . Nous demandons l’abandon des charges qui pèsent contre le journaliste.


Conformément à la loi, les étrangers accusés de diffamation et de violation du Computer Crimes Act sont soumis à des formalités administratives exagérément sévères et fastidieuses. Ils doivent donner leur passeport aux autorités et perdent également leur visa et leur permis de travail avant même qu’un jugement n'ait été rendu. Alors qu’un procès peut durer des années, ils doivent faire des demandes successives de visa de 30 et 60 jours, un processus qui impliquera pour Jonathan Head de nombreux allers-retours entre Bangkok et Phuket.


RSF s’inquiète également de la possibilité pour la presse locale et étrangère de couvrir librement le procès. Dans un communiqué publié sur son site, le Foreign Correspondent Club of Thailand a indiqué être limité en raison de “la loi sur l’outrage à la Cour” dans sa couverture du procès. Il est fréquent que les journalistes couvrant des procès se censurent par peur d’être accusés d’outrage à la Cour, un chef d’inculpation qui peut entraîner jusqu’à sept ans d’emprisonnement.

Cartoon : Stephff

Les poursuites en diffamation sont régulièrement utilisées contre les journalistes d’investigation en Thaïlande. En novembre 2016, RSF avait demandé à la cour pénale de Bangkok de refuser de se saisir de la plainte pour diffamation utilisé par une compagnie minière pour harceler la chaîne Thai Public Broadcasting Service (Thai PBS) et quatre de ses employés. Les journalistes Alan Morison et Chutima Sidasathian, et le blogueur et défenseur des droits de l'homme Andy Hall ont également été victimes de harcèlement par le biais d'accusations de diffamation.


La Thaïlande occupe la 136ème place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2016, établi par RSF.

Publié le
Updated on 01.03.2017