Serbie et Monténégro : les juges protègent-ils les journalistes ou leurs assaillants ?

Les procès des suspects du meurtre de Slavko Ćuruvija et de l'assaut contre Milan Jovanović reprennent à Belgrade, tandis qu’à Podgorica le reporter Jovo Martinović comparaît pour des accusations absurdes. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités judiciaires des deux pays à lutter contre l'impunité des crimes commis contre les journalistes et à garantir une justice équitable et transparente.

Vingt et un ans se sont écoulés depuis le meurtre du journaliste d’investigation serbe Slavko Ćuruvija, mais l’incertitude plane toujours sur la condamnation de ses assassins. La Cour d’appel de Belgrade examinera en effet du 7 au 9 juillet prochains le verdict rendu en avril 2019 à propos de l'assassinat de cet éminent critique du dictateur Slobodan Milosević en 1999. Dans une décision historique, une Cour spéciale de Belgrade avait reconnu coupables quatre anciens agents de la Sécurité d’Etat, et leur avait infligé des peines de prison allant de 20 à 30 ans. Mais suite à l’appel des accusés et à celui du procureur, incompréhensible au vu des lourdes peines décidées, le verdict risque d’être annulé par la cour d’appel. Un nouveau procès fait craindre que deux des accusés - assignés à résidence surveillée et non incarcérés - puissent, aidés des services secrets concernés, mettre en doute les preuves tangibles et la centaine des témoignages recueillis dans cette affaire malgré les obstructions des précédents gouvernements et les deux décennies passées depuis les faits.


La lenteur et l’inefficacité de la justice serbe dans ce procès emblématique pour la liberté de la presse a sans doute conforté, en décembre 2018, ceux qui ont mis à feu la maison du journaliste Milan Jovanović du site Žig Info à Grocka, une banlieue de Belgrade. Et il n’est pas exclu qu’ils soient acquittés lors de la dernière phase du procès qui se tiendra entre les 24 et 27 août prochains. A l’issue de la première journée d’audience le 1er juillet, le procès a été reporté en raison de l’absence des avocats du principal accusé, Dragoljub Simonović, sous prétexte de leur possible contamination par le coronavirus. Par ailleurs, dès la fin de la détention provisoire de ce commanditaire présumé, deux assaillants présumés - un troisième ayant pris la fuite - ont changé de discours et affirmé que la police les avait forcés à mettre en cause Dragoljub Simonović, haut responsable du parti SNS du Président serbe Aleksandar Vučić et ancien maire de Grocka, au sujet duquel Milan Jovanovic s’était intéressé pour des soupçons de corruption. Le cynisme est à son comble, l'accusé étant parvenu en plus, à inverser les rôles et harcelant financièrement le journaliste désormais contraint de détailler les biens endommagés dans l'incendie de son domicile.


Autre exemple d'une justice à géométrie variable dans la région : le Monténégro, qui a enfreint le droit du journaliste d’investigation Jovo Martinović à un procès équitable et l’a placé en détention provisoire pendant 15 mois de 2015 à 2017, renforçant le sentiment que la justice et les procureurs étaient soumis à des intérêts politiques. La Haute Cour du Monténégro aura dès le 6 juillet une opportunité d’acquitter le journaliste après l'annulation de la décision judiciaire le condamnant en janvier 2019 à 18 mois de réclusion criminelle pour trafic de marijuana et association de malfaiteurs. La prudence reste de mise, le reporter ayant été condamné pour trafic de marijuana et association de malfaiteurs malgré des preuves accablantes montrant que les liens du journaliste avec le crime organisé étaient uniquement liés à son activité professionnelle.


La justice doit prendre en compte les éléments de preuve et les témoignages qui disculpent Jovo Martinović. Le condamner à nouveau serait le signe du recul du Monténégro en matière de liberté de la presse et de respect de l’état de droit au moment où le pays est en première ligne, avec la Serbie, dans les négociations pour rejoindre l’Union européenne,” déclare Pavol Szalai, responsable du Bureau UE/Balkans à RSF. “A Belgrade, le verdict condamnant les meurtriers de Slavko Ćuruvija doit être confirmé. Quant à l’attaque contre Milan Jovanović, elle mérite elle aussi une décision de justice rapide imposant de lourdes peines pour marquer le début de la fin de l’impunité des crimes commis contre les journalistes en Serbie.”


La Serbie et le Monténégro se situent respectivement au 93e et au 105e rang au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.

Publié le
Updated on 02.07.2020